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gouvernement, rassurés, sortaient pour les passer en revue ; il voyait Trochu prononçant un discours. Grandes acclamations de : « Vive la République ! À bas la Commune ! » On s’était dispersé quittes pour la peur. La pluie tombait toujours.

À peine un mois depuis le 4 septembre ! Qu’on était loin de cette radieuse journée où, dans un allégement universel, la jeune République souriait à tous les yeux, enivrait tous les cœurs, de cette première quinzaine où Paris semblait une énorme fête, avec ses rues débordantes de passans et de voitures, ses cafés bondés de filles et d’officiers de mobiles. La guerre, on n’y pensait plus ! Les choses s’arrangeaient du coup ; Paris n’était qu’espoir, azur, soleil. Ce gouvernement de la Défense, quel crédit il avait rencontré tout d’abord ! Martial se souvint d’avoir erré toute cette après-midi du 4, dans la gaieté de la foule. Il avait vu abattre les aigles aux devantures des fournisseurs, Favre et Ferry quitter la Chambre et annoncer à Trochu, rencontré au pont de Solférino, la proclamation de la déchéance. Le Gouverneur, venu au petit pas, regagnait le Louvre au trot, et, se mettant en civil, s’empressait, sur la prière d’une députation, de rallier l’Hôtel de Ville. Il y trouvait les onze élus de Paris, déjà constitués en gouvernement, — un moyen d’écarter les noms, inquiétans pour la masse, de républicains trop avancés, tels que Blanqui, Delescluze, Félix Pyat, Millière, accourus les premiers. Le général, sous condition qu’on sauvegardât les trois principes : Dieu, la famille, la propriété, promettait son concours ; on le nommerait Président, avec pleins pouvoirs militaires pour la défense.

C’est ainsi que, sous la direction de Trochu, ancien Gouverneur impérial, les députés de l’opposition, Emmanuel Arago, Crémieux, Jules Favre, Jules Ferry, Gambetta, Garnier-Pagès, Glais-Bizoin, Pelletan, Picard, Rochefort, Jules Simon, toute la représentation de Paris, moins Thiers, se trouvaient investis d’un pouvoir, illégal par la force des choses, mais consenti par la nation entière. La fraction du Corps législatif qui avait fini par se mettre d’accord, le palais évacué, convenait elle-même, sinon de reconnaître un gouvernement né de l’insurrection, au moins de ne pas le combattre, tant qu’il aurait à lutter contre l’étranger. Quant à Paris, grisé de sa révolution pacifique, seule la marche toujours avançante de l’ennemi avait pu le persuader que la guerre durait encore, et que la ville sacrée, la capitale du monde, était menacée à son tour. L’arrivée du corps de Vinoy,