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plus au réformateur qu’à la réforme. La gloire de posséder un Martin Luther a tourmenté leur sommeil. « Si une religion relativement inférieure, telle que le christianisme, écrit l’un d’eux, a pu être régénérée par l’indomptable foi d’un Luther, que ne doit-on pas attendre du bouddhisme lorsqu’un semblable apôtre y portera sa flamme ! » — « Au point de vue religieux, dit un autre, la situation du Japon vis-à-vis du reste de l’univers est comparable au soleil. Les fondateurs de religions, comme le groupe des planètes, gravitent vers notre archipel. Nous affirmons qu’il sera le dernier champ de bataille où les dieux livreront leurs derniers combats. » Le néo-bouddhisme japonais, n’en doutez point, a reçu la mission providentielle d’unifier les croyances humaines et de donner au monde sublunaire une foi définitive. Je préfère encore la rosée du Ten-ri-Kyô à cette espèce de shintoïsme bouddhiste et lyrique. Mais l’une et l’autre expriment la même exaspération de vanité blessée et le même désarroi intérieur.

Seuls les Japonais qui se font chrétiens me semblent introduire dans leur vie une logique salutaire. Admettez un instant que nos maîtres nous imposent, sans que nous l’ayons jamais demandé, des institutions, des codes, des coutumes empruntés à l’Extrême-Orient et imprégnés de bouddhisme. Les plus résignés d’entre nous se prendraient le front à deux mains et s’écrieraient : « Sous peine que notre tête éclate, commençons par nous faire bouddhistes ! » Sociétés de bienfaisance, Hôtels-Dieu que visite l’impératrice, tribunaux où l’individu se réclame de ses droits, lois plus équitables, divorce plus malaisé, habitudes sociales et domestiques modifiées par le sentiment de la pudeur, ces institutions et ces nouveaux usages, tirés de l’Europe, sont tous marqués au coin du christianisme. Et cependant la religion occidentale ne parait pas devoir s’introniser au Japon. Rien dans le bouddhisme n’y répugne absolument, si ce n’est peut-être ses analogies extérieures avec le catholicisme et sa ressemblance intime avec l’indiscipline protestante. Avez-vous remarqué que souvent une langue étrangère nous est d’autant plus difficile à bien parler qu’elle se rapproche davantage de notre langue natale ? Nos missionnaires n’arrivent point à convertir les musulmans qui ont presque mis au rang de leurs prophètes Jésus, fils de Marie. Mais le catholicisme avait surtout contre lui sa banqueroute sanglante sous les premiers Tokugawa, le déplorable souvenir