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religieuse, et, à côté du nouveau tsar, un patriarche de Bulgarie vint trôner dans Preslav la Grande. Restait à enlever Constantinople.

Siméon comprit qu’il lui fallait la coopération d’une puissance maritime et d’une flotte de guerre. Dégagé de tout scrupule par les exemples que lui avaient donnés les « empereurs semblables aux apôtres », il adressa une ambassade au sultan fatimite d’Egypte. Les Arabes donneraient par mer l’assaut à Byzance, par terre les Bulgares. Aux premiers, tout le butin de guerre ; au tsar Siméon, la possession de ce joyau unique : Constantinople. L’empereur Lécapène eut cette chance que ses vaisseaux capturèrent les ambassadeurs arabes qui revenaient avec les envoyés de Siméon, Il emprisonna les seconds, traita bien les premiers, se servit d’eux pour renouveler la paix avec le sultan, moyennant un tribut de 11 000 pièces d’or. Siméon se trouva seul au rendez-vous sur les glacis de Byzance, Les épaisses murailles et les tours altières, garnies de machines de guerre, batistes, catapultes, bombardes à lancer le feu grégeois, d’images saintes renommées par leurs redoutables miracles, l’aspect d’une infinie multitude de soldats et d’une foule immense lui donnèrent grandement à réfléchir. Il eut une entrevue avec Lécapène. Les écrivains grecs prêtent à celui-ci un discours émouvant, plein d’onction chrétienne, d’humilité évangélique et, en même temps, de fierté royale. En dépit de son usurpation, Lécapène n’en était pas moins le successeur d’Auguste et de Constantin, l’Isapostolos, auquel tant de nations chrétiennes, à commencer par la Bulgarie, devaient leur initiation à la doctrine de salut, le « père spirituel » de tous les rois et de tous les peuples. Peut-être cette majesté vieille de mille années en imposa-t-elle à la majesté nouvelle de Siméon, le prestige intellectuel du représentant de l’hellénisme au « demi-grec, » l’empereur éternel à l’empereur parvenu. Même un Napoléon a pu, en présence d’un César d’Autriche, tant de fois battu par lui, céder à de tels prestiges. Au surplus, Siméon et Lécapène devaient être alors également convaincus qu’il existait pour chacun d’eux une impossibilité : pour le Basileus de refouler la Bulgarie dans les marais du Danube ; pour le tsar de prendre la Cité imprenable. Ils se quittèrent sans avoir, semble-t-il, rien conclu. Les chroniqueurs racontent qu’au moment de la séparation, deux aigles planèrent sur la tête des deux souverains, qu’ensuite l’un des aigles prit son vol vers le