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Toutefois, sous le vernis de culture hellénique, subsistait dans toute sa rudesse la Bulgarie primitive. Quand, sous l’empereur Tsimiscès, deux princesses issues de la tsarine Irène vinrent pour épouser les petits-fils de Constantin Porphyrogénète, ce ne fut pas sur quelque véhicule d’élégante fabrique byzantine, mais sur un char à l’antique mode scythique, aux roues de bois pleines et aux essieux grinçans, comme les arabas d’aujourd’hui, que les paranymphes les amenèrent à Constantinople. Dans la Bulgarie, riche en moissons et en troupeaux, la vie devait être large, mais dénuée de tout confort. Bude était le paysan bulgare ; plus rude encore le boïar de province.

La puissance et la même cohésion de l’État bulgare avaient tenu presque uniquement à l’énergique personnalité de Siméon. Elles ne devaient pas lui survivre. Sous le tsar Pierre, très pieux, très doux, sans talent ni ardeur militaires, la monarchie se démembra. Un de ses boïars, le comte ou comite Sischman, de Tirnovo en Mésie, alla s’installer, avec ses quatre fils, les comitopouli comme les appelèrent les Grecs, dans un château fort de l’Ouest. Il sépara de la Bulgarie danubienne la Macédoine et l’Albanie, y fonda une sorte de Bulgarie du Pinde, plus guerrière, plus féodale, plus nationale de sentiment, plus antigrecque que celle dont Preslav-la-Grande était la capitale. Plus d’un boïar dut l’imiter en des proportions plus modestes. Partout s’émancipait la féodalité, partout se restaurait l’autorité patriarcale des chefs de clan. Une autre cause de désagrégation, ce fut la propagation en Bulgarie de l’hérésie manichéenne, qui, du pope Bogomil, y prit le nom de bogomilisme. En s’attaquant à l’Eglise nationale incarnée dans le patriarcat, elle affaiblissait l’État ; elle tendait même à désagréger la nationalité. On a remarqué que lors de la conquête ottomane, la plupart des Slaves qui montrèrent de l’empressement à embrasser l’Islam étaient des Bogomiles.


VI

L’anarchie où était retombée la Bulgarie tenta l’ambition d’un empereur grec, Nicéphore Phocas, le premier tuteur des jeunes porphyrogénètes Basile II et Constantin VIII. Il estima facile de reconquérir au moins la Bulgarie tsarienne, la Bulgarie du Danube. Il ne réfléchit pas qu’achever la ruine de cet État qui, si affaibli qu’il lut, constituait encore un rempart à l’hellénisme contre les