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le misanthrope, les Sept Sages de la Grèce, Iphigénie et Cartouche, (l’Antre de Trophonius). D’ailleurs dans la Comédie foraine, aucun sujet ne revenait plus souvent que la critique des théâtres. Non seulement les forains décochaient à leurs rivaux des milliers d’épigrammes, mais ils avaient soin de mettre le public au courant de leurs démêlés avec la Comédie-Française ou les Italiens ; des prologues ou même des pièces entières n’avaient pas d’autre sujet. Les Funérailles de la Foire, le Rappel de la Foire à la Vie, la Querelle des Théâtres, dix autres ouvrages de ce genre, sont de véritables comédies de polémique. Les forains ne se contentent pas de railler la Comédie sur la composition de ses spectacles, sur le jeu de ses acteurs et sur l’effroyable solitude où elle se morfond ; mais ils ont assez de confiance dans la bonne volonté et dans l’éducation artistique de leur public pour traiter devant lui des questions abstraites et spéciales. Que dites-vous d’une scène où l’Art et la Nature, mariés et faisant mauvais ménage, plaident en séparation ? Et quoi d’un dialogue où les deux interlocutrices sont la « Première représentation » et « l’Impression, » personnifiées et discutant pour savoir laquelle est la plus redoutable à l’auteur ?

Comme leur Marinette, les forains goûtaient vivement la parodie. Aucun genre n’était chez eux plus en faveur. Toute pièce nouvelle et quelle qu’en fût la fortune, se voyait aussitôt parodiée à la foire. C’était un tribut qu’il fallait payer. Beaucoup avaient le bon esprit d’en rire ; quelques-uns s’en fâchaient. On sait parmi lesquels était Voltaire. Aux yeux de ces parodistes enragés, rien n’est sacré, pas même l’Olympe. L’auteur du Mariage de Momus ne nous montre-t-il pas les dieux occupés à jouer « au jeu qu’on appelle le métier deviné, » et qui vaut sans doute les charades ou les bouts rimes. L’un des joueurs fait les gestes qui caractérisent un métier ; les autres doivent deviner. Apollon va et revient majestueusement, branlant les deux bras sur les hanches, battant des timbales avec les talons, touchant à sa perruque, nasillonnant et chantant sur le ton de la vieille déclamation. « C’est un comédien français, » s’exclame le chœur des dieux. Dans la même pochade nous assistons aux doléances des ministres du temple de la Vertu. « O siècle ! ô mœurs ! n’avoir pas étrenné ! Quoi ! pas le moindre denier, pas le moindre poulet ! » C’est déjà l’exclamation attristée de Calchas : « Trop de fleurs ! » C’est la Belle Hélène un siècle d’avance. En sorte que la comédie foraine enfermait encore le germe et portait en elle l’espérance de l’opérette.

Monologue, revue, féerie, opérette, parodie, tous ces genres s’annoncent