Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/470

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dépouille des Italiens rejette tout ce qui lui donne le double caractère italien et forain.

Ces progrès se font peu à peu grâce à l’honnête Panard, qui a beaucoup contribué à épurer la comédie foraine, à Boissy, à Fagan. Les dernières modifications sont dues à Favart et à Vadé. C’est la Chercheuse d’esprit de Favart (1741) qu’il faut lire si l’on veut se faire une idée de ce genre indécis, aux formes charmantes et douteuses, qui, débarrassé des élémens forains, hésite encore entre l’opéra comique et le vaudeville. La grossièreté a disparu, le libertinage d’imagination est partout. Arlequin, Scaramouche, le Docteur et Colombine ont cédé la place à M. Subtil et à Mme Madré, un tabellion et une fermière, à Lucas et à Nicette. Un niais et une ingénue, tels sont les héros de Favart, mais un niais assez fin pour duper une matrone, une ingénue de qui l’ingénuité s’ingénie à trouver l’esprit qui la fera craquer comme la frêle enveloppe de la fleur au moment de s’épanouir. Cette fausse naïveté, cette simplicité rouée, cette ingénuité égrillarde a bien sa date ; et voilà des originaux tout prêts pour le pinceau de Greuze. Dans la Coquette sans le savoir, le Coq de Village, les Amours grivois, la note est la même. Notaires, paysans, militaires ont envahi la scène ; et ce sont autant de « précieux. » Au genre précieux de Favart succède et répond le genre « poissard » de Vadé. L’auteur de la Pipe cassée et des Bouquets poissards, ce « Téniers de la poésie, » avait inventé de composer, avec les scènes de la vie familière des forts à bras du Port aux blés et des dames de la Halle, de petits tableaux qui prétendaient à une exactitude toute naturaliste. L’invention avait plu surtout dans les salons ; la gentillesse en consistait à attraper le ton juste et le geste approprié pour lâcher des bordées de trivialités et d’injures empruntées au vocabulaire des harengères et des portefaix. C’est ce genre que Vadé transporte au théâtre avec son opéra comique des Racoleurs (1756) dont les personnages s’appellent Mme Saumon, marchande de poissons, Javotte, Toupet, perruquier, La Ramée, Jolibois et Sans Regret.

Désormais, l’opéra comique est constitué comme genre littéraire. Il a pour objet la peinture des mœurs des gens de la campagne et du peuple. Cette peinture, il la croit exacte ; le décor et la mise en scène lui servent à indiquer le milieu avec un surcroît de détails précis. Mais il est inévitable qu’un genre nouveau s’imprègne de l’atmosphère d’idées et de sentimens qui règne au moment où il arrive à sa complète formation. L’opéra comique à ce point de son développement rencontre la sensiblerie : ils s’unissent pour toujours. A la même époque, c’est-à-dire aux environs de 1760, des musiciens tels que