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tembergeois attaquent ; les chassepots les dispersent vite. Mais des masses noires s’approchent, longent les bords du plateau. Français ? Allemands ? Ducrot croit voir enfin l’invisible 3e corps… Les éclaireurs Franchetti, partis reconnaître, essuient des coups de fusil. Plus de doute, les Saxons ! Ducrot fait coucher les hommes : silence absolu ! Quand les premiers rangs ne sont plus qu’à quelques mètres, il crie : — Debout ! Joue, feu ! Sous la grêle furieuse, l’ennemi s’arrête, tombe, tourbillonne. Sabre haut, baïonnette brandie, pêle-mêle, les état-majors, les cavaliers d’escorte, les fantassins se précipitent ; le général en chef brise sa petite épée dans la poitrine d’un Allemand. Les masses noires sont en déroute, talonnées. Mais de nouveau les murs du parc vomissent la mort ; il faut reculer, à l’abri de la crête. Quatre batteries de la réserve générale accourent au galop, les servans sont décimés, impossible de tenir : les quatre batteries s’établissent plus en arrière, abandonnant deux canons faute d’attelages. La gauche du 2e corps est menacée. Les Saxons envahissent Bry. Par bonheur, de l’autre côté de la Marne, un aide de camp de d’Exéa les aperçoit ; une batterie de mitrailleuses, du Perreux, les prend d’enfilade. En même temps, Ducrot engage la réserve d’artillerie du 2e corps ; soixante pièces sont braquées de Champigny à Villiers ; les éclairs rouges jaillissent, un lourd voile de fumée blanche s’épaissit et flotte, l’air vibre, déchiré par le sauvage tumulte, saturé par l’odeur acre de la poudre. Il est deux heures.

À Cœuilly, après la retraite du 35e et du 114e, le combat avait continué avec la même frénésie. Le commandant du 1er corps, général Blanchard, après avoir fait donner son artillerie, vite écrasée en contre-bas, avait de nouveau porté en avant la division Faron. Mais un feu terrible part des créneaux et des meurtrières, broie ce dernier élan. Les moblots de la Vendée lâchent pied. Tout le 42e exécute, sous le feu précipité, une calme retraite par échelons marqués de jalonneurs, à hauteur desquels se portent, comme à l’exercice, un tambour et un clairon, sonnant halte et en retraite aussi crânement que tout à l’heure ils sonnaient la charge.

Maintenant, cramponné au coteau sans pouvoir y reprendre pied, en face de Villiers et de Cœuilly dressant leurs écueils au pied desquels est venue se briser l’énorme vague, le général Ducrot continue le duel d’artillerie, d’un bord à l’autre du plateau que jonchent des milliers de cadavres ; de longues minutes