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un vaillant soldat. Il faut, à l’ardeur de l’initiative, joindre la force de caractère. Elles lui avaient manqué toutes deux.

Un bruit sec fit tressaillir Louis. Une des bobèches avait éclaté. — Là ! dit Sangbœuf, en consultant la pendule, heureusement que j’ai fini. À vous le tour. Je vais imiter Guyonet. Les bougies sont dans le tiroir.

Louis venait de les renouveler, et, la tête dans ses mains, il songeait à Eugène ; où était-il maintenant ? Pourvu qu’il ne lui fût rien arrivé ! Soudain la porte s’ouvrit sur la nuit glaciale et sur l’interminable défilé de fantômes. Un officier parut, tendit une dépêche à Louis. — « Urgent, dit-il. Très important. J’ai l’ordre d’assister à l’envoi. » Sans donner signe d’émotion, comme un manœuvre, Louis, la main à l’appareil, transposait le texte tragique. C’était le message de d’Aurelle au gouvernement de Tours, annonçant que tous les corps étant plus ou moins éprouvés ou désorganisés, il n’y avait plus lieu de faire des plans de campagne. Une seule ressource s’offrait : évacuer sans défense Orléans, le 16e et le 17e corps gagneraient Beaugency et Blois, le 18e et le 20e Gien ; le 15e se retirerait en Sologne. Louis, tout en manipulant, se revit trois semaines plus tôt, en train de transmettre, après la victoire de Coulmiers, les instructions prescrivant la fortification du camp retranché à l’abri duquel l’armée se referait. Quelle ironie dans ce contraste ! Que de temps stupidement gâché ! Que de forces et de travaux perdus !

Le dernier mot lancé, l’officier salua, sortit, sans parler. Louis retomba au silence de la pièce où, traversant les murs, l’immense rumeur couvrait les ronflemens de Sangbœuf, la faible respiration de Guyonet. Il somnolait, quand la sonnerie tinta, et, brusquement réveillé, lut avidement, sur la bande déroulée, la réponse stupéfaite et sévère de Freycinet… « Il fallait rassembler les cinq corps épars, tenter un vigoureux effort !… » Le planton parti, il se remit la tête dans les mains, rêvassa longtemps, partagé entre le doute et l’espoir. La clarté des bougies devint jaune ; les vitres avaient blêmi. Un jour de neige se leva. Guyonet et Sangbœuf étaient debout, on allait bientôt se remettre en route. Déjà les originaux des dépêches, les copies étaient entassées dans les cantines lorsque l’officier de tout à l’heure reparut, tendit avec une recommandation pressante le télégramme de d’Aurelle. Le général ripostait avec humeur qu’ « étant sur les lieux, il était mieux à même de juger de la situation. Orléans