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Au Dieu qui nous a faits recommande ton âme,
Ami, pour que là-haut revivent nos amours.
Mais il lui répondit en tâchant de sourire :
— Moi, je n’admets pas Dieu, même pour le maudire !
Adieu donc, ô Marie, adieu !… C’est pour toujours.


Et il meurt. Comme il avait blasphémé en rendant l’âme, Marie ne cesse de prier et d’entasser vœu sur vœu dans l’espérance que Dieu ne l’avait mis qu’en purgatoire. Mais une nuit son ange gardien lui apparaît et lui dit de ne plus prier pour lui, que ses prières ne font qu’accroître son supplice. Alors, de désespoir, elle veut s’empoisonner. « Se tuer, c’est pécher, tant mieux ! » De la sorte elle pourra partager la destinée de celui qu’elle aime. Cependant un dernier doute l’étreint, qui l’empêche d’avaler le poison. Elle rejette la coupe et attend patiemment l’heure de Dieu. Elle meurt, et prend place parmi les élus. Mais le ciel sans son bien-aimé lui fait l’effet de l’enfer. Et la voilà qui se met à la recherche, comme Eloa, de l’abîme sans fond où sont précipités les damnés. Soudain elle le découvre sous une épaisse couche de nuages, elle s’approche, elle reconnaît l’époux de son âme, elle lui parle, mais comme elle s’aperçoit qu’il souffre davantage à sa vue, elle remonte au ciel pour n’en plus redescendre. C’est alors que, touché de ses larmes,


Dieu dont le cœur est plein de clémence infinie,
De ses longues douleurs eut à la fin pitié.
« Ange incomplet, dit-il, que ton autre moitié
Se ressoude avec toi, car sa peine est finie. »
Et l’enfer eut relâche, et ce fut fête aux cieux,
Quand, devant l’Éternel, on les vit tous les deux
Venir se prosterner et prendre une auréole.


Les Sonnets de Péhant furent remarqués. Gustave Planche leur consacra une note bienveillante dans la Revue des Deux Mondes ; Alfred de Vigny les présenta aux lecteurs de la Revue de Paris ; Emile Deschamps, Barbier, Léon de Wailly, Chevalier, les prônèrent un peu partout. Quant à Sainte-Beuve, qui avait tant fait pour remettre le sonnet en honneur et qui toute sa vie fut favorable aux sonnettistes, s’il n’en dit rien quand ils parurent, nous savons aujourd’hui la raison de son abstention critique. « Tout en continuant d’admirer en Vigny le poète, » il commençait à se séparer « du rhétoricien et du rêveur systématique. » Et comme Péhant passait pour être « son chevalier, »