Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/648

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Rome ou de Pesaro. Tel casque a été forgé en Flandre qui semble venir en ligne droite de Milan. Il y a plus : une pièce a pu passer par plusieurs mains. Battue par un Français, repoussée par un Lombard, incrustée par un Bavarois, elle a été finalement dorée par un Vénitien, alors que sa composition première a été tirée de dessins franchement allemands, mais anciens, et accommodés au goût du jour. Il y a plus encore : on a vu des pièces beaucoup plus anciennes que leur décor. Je n’en veux d’autre preuve que cette armure de Louis XIII, cependant sincère, dont le chanfrein est peut-être de cent ans antérieur au reste, encore qu’il soit rehaussé des mêmes gravures dorées. J’en finirai avec la salade de l’Armeria par une remarque dernière. Comme j’ai pu m’en convaincre, il y a quelques années, à Madrid, elle est représentée, dans l’inventaire illustré des Armes de Charles-Quint, source de toute lumière, comme noircie en partie et largement dorée. Aujourd’hui, elle a perdu son enduit noir et apparaît blanche et or. Il en est, à peu près, partout de même. On ne portait guère d’armures blanches. Les plus communes étaient, dans la règle, noircies au feu, ce qui en rendait l’entretien plus commode. Les pièces de luxe étaient dorées en tout ou partie ; et, d’ailleurs, on avait tant de moyens de dorer en faux et à bon marché, qu’il fallait être un bien petit compagnon pour aller à la guerre sous un harnois noir ou blanc, tout uni. Dès le règne de Henri II, tout bon arquebusier a son corps de cuirasse de Milan gravé à bandes, et sous Charles IX, est méprisé qui n’a point son corselet doré. L’Italie fabriquait alors à si bas prix, qu’elle fournissait toute l’Europe occidentale, quoi qu’en pût faire la concurrence flamande. L’Allemagne tenait les lames d’épée et imitait consciencieusement ces lames espagnoles dont les édits des rois catholiques interdisaient l’exportation. Tolède, Albacetc, Bilbao, ne travaillaient donc que pour la Péninsule ou pour les rares privilégiés qui pouvaient emporter, par autorisation spéciale, ces précieuses lames si souples qu’on les gardait, ployées en cercle, dans des boîtes rondes : « J’ai enduré, s’écrie Falstaff, les tourmens de trois morts différentes : ’premièrement, une intolérable frayeur d’être découvert par ce jaloux bélier ; secondement l’inconvénient de me voir ployé comme une lame de Bilbao, la poignée allant rejoindre la pointe !… » Les rois d’Espagne faisaient volontiers cadeau d’épées, les souverains italiens donnaient plus volontiers des armes repoussées, comme des