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déclara qu’il les avait atteintes et même dépassées, et il voulut le faire savoir à toute l’Europe. Pour ce, fit-il un magnifique bouclier repoussé que l’on peut voir au Musée (Armeria Real) de Madrid, et où il s’est représenté sous forme d’un taureau furieux fondant sur un homme armé d’un bouclier où se lit l’inscription Negroli. Le Negroli para-t-il le coup ? Il est permis de le croire, car la grande maison de Milan garda jusqu’au bout la clientèle impériale, comme Desiderius Coleman, du reste. » Les œuvres des deux fabriques rivales composent le meilleur de l’Armeria de Madrid. Les pièces poinçonnées par les Negroli et les Coleman s’y comptent par centaines. Nous pouvons voir, au pavillon royal d’Espagne, les plus beaux échantillons de la forge et du repoussage, de la ciselure et de la damasquine, de la gravure ou de l’incrustation, et juger les productions des deux écoles. Mais il convient d’apporter dans ces jugemens une grande réserve et se rappeler ce que nous avons dit plus haut, à savoir que la qualité maîtresse de ces artistes n’a pas toujours été l’originalité. Quand on se livre à une étude patiente des armes ornées, on ne tarde pas à retrouver une série de types de guerriers, de captifs, de mascarons, qui se répètent, identiques, ou variés par des modifications légères, dans l’attitude ou le détail, sur quantité d’objets très différens. Cette banalité dans le décor ne peut être reprochée aux armuriers allemands archaïques, comme le vieux Coleman « qui ne tomba jamais dans la minutie où se laissa aller Desiderius, à cette époque de décadence où l’orfèvrerie étendit ses procédés aux choses de l’armurerie. » On ne saurait trop le répéter, l’histoire de l’art de l’armurier, à partir de la seconde moitié du XVIe siècle, n’est plus que l’histoire d’une décadence. Il est même remarquable de voir l’Augsbourgeois Matheus Fraëenbrys exécutant, en 1543, une rondache avec de grands sujets repoussés dans le goût des productions chères au vieux Lorentz Coleman. Cette rondache, qui représente une femme nue, ramant contre le vent et le flot dans un esquif symbolique, est repoussée en demi-relief avec cette maestria rude et un peu âpre dont tant de harnois plus anciens nous donnent de bons exemples. La seule concession au goût précieux du jour est l’ornementation, gravée à l’eau-forte, de diverses parties du fond et de l’esquif, et la dorure de quelques autres. Pour avoir été destinée à Philippe II, cette rondache n’était cependant guère à la mode, et plus d’un courtisan dut blâmer, en soi, la simplicité de cette arme qui sentait son vieux