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L’empereur d’Autriche a laissé les organisateurs puiser dans son cabinet de Vienne, dans sa merveilleuse galerie d’Ambras où, depuis trois cents ans, s’accumulent les armures historiques les plus authentiques, pour ne parler que de celles-là. Des sociétés archéologiques, comme celle de Transylvanie, des villes, comme Nagy Szeben, des châteaux, comme celui de Kormend, ont dégarni, pour un temps, leurs musées ou leurs arsenaux. Mais ce n’est pas seulement, dans ce pays si attaché aux souvenirs de son glorieux passé, les villes et les châteaux qui ont des arsenaux : tel seigneur hongrois possède encore, comme au bon vieux temps, un magasin d’armes assez riche pour fournir à l’équipement de deux ou trois compagnies. Les Esterhazy pourraient, en cette fin du XIXe siècle, armer trois cents hussards, à l’ancienne mode, et celle-ci valait bien la nouvelle qui parle de retirer le sabre au cavalier. Et que d’autres richesses contiennent les magasins ou les salles des vieux manoirs féodaux ! Quelle profitable tournée archéologique ne ferait pas un savant entreprenant, comme le baron de Cosson, chez les Teleki, les Batthyany et les Festetics ! Ce qu’il y a de plus merveilleux, dans ce pavillon de Hongrie, c’est, si l’on peut dire, qu’on assiste à la vie intime des objets. Toutes ces armures, toutes ces épées, tous ces sabres sont là, qu’on nous passe l’expression, comme des vêtemens, des parapluies ou des cannes qu’une famille économe modifie, répare, adapte aux besoins de chacun de ses membres. Telle épée, véritable couteau de Jeannot, a servi à cinq ou six descendans d’un même aïeul. La lame, bien trempée, que l’ancêtre avait maniée avec sa poignée archaïque, a servi au petit-fils, qui l’a fait modifier au goût du jour, et meuler aussi, parce que l’acier s’était ébréché sur la maille turque. Mais ce n’est pas en Hongrie, seulement, que l’on trouve de pareils exemples. L’empereur Charles-Quint ne se gêna point pour faire retailler à son gré la fameuse épée du Cid par l’armurier Salvador, qui en changea aussi la garde pour lui en donner une conforme à la mode courante. Notre Musée d’Artillerie possède une épée du XVIe siècle qu’un Cossé-Brissac fit remanier profondément pour la porter sous le règne de Louis XIV. Au pavillon de Hongrie il ne manque pas de pareils exemples, même pour les armes de parement. L’épée du roi Mathias Corvin est aujourd’hui réduite à sa lame montée sur une garde en paraphe, allemande, datant du XVIIe siècle. L’estoc municipal exposé au premier étage montre