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sur ses garnitures de vermeil, comme date la plus ancienne, le chiffre 1549. Mais les réparations ne lui ont pas manqué. En outre, les noms des bourgmestres poinçonnés sur la croisée d’argent se succèdent pendant trois siècles, le dernier est de 1848 ! Une autre épée de justice, placée tout à côté, est de 1543, comme l’indiquent et les chiffres et les ornemens en trèfles, vigoureusement repoussés, de sa bouterolle, tandis que la chape, gravée à la pointe, d’un tout autre travail, a été certainement refaite au XVIIe siècle. Nous pourrions multiplier les preuves. Mais notre fameuse épée de Charlemagne, conservée à la galerie d’Apollon, ne se présente-t-elle pas comme le meilleur argument, avec ses garnitures du XIIIe siècle, sa lame du XIVe et son fourreau en partie moderne ?

À cette exposition de Hongrie on sent qu’il s’agit moins de cérémonies et de parades que d’une lutte âpre et journalière contre l’envahisseur oriental dont les lames courbes ont fini, à la longue, par passer aux mains des chrétiens, dont les chemises de mailles ont été adoptées par les hussards qui préférèrent longtemps cette défense lourde et souple aux harnois de plates occidentaux. Et c’est pourquoi les cuirasses hongroises datent presque toutes du XVIIe siècle, au plus tôt. Dans l’équipement archaïque du Magyar la tradition turque prévaut contre la mode germanique, comme chez les Polonais, ces autres défenseurs de nos marches. Car c’est aux uns comme aux autres que l’Autriche a dû de ne point voir la chair blonde de ses filles vendue à l’encan sous l’étendard surmonté du croissant. Ils ont été les Porte-Glaives de l’Europe orientale ; ils ont usé dans cette lutte séculaire ce qu’ils auraient pu garder d’énergie pour résister à ceux-là mêmes qu’ils ont tant de fois sauvés ! Passons ! Un grand homme d’Etat a codifié la justice des hommes en un seul aphorisme : « Malheur aux nations reconnaissantes ! » Tour à tour vainqueurs et vaincus, le Hongrois et le Polonais, ces ennemis éternels de l’Ottoman, semblent s’être ingéniés à chercher ce qu’on pouvait trouver de meilleur dans l’armement des mécréans. Le long estoc à lame triangulaire, effilée comme celle d’une rapière, l’estoc à la façon d’Allemagne, comme on disait au XVIe siècle, demeure chez eux, et cela pendant le XVIIIe siècle, encore, — tant le Hongrois est conservateur par fond de nature, — la seule arme de main conforme au type occidental. Mais la garde en étrier, ou à croisillon court, est dans le style oriental.