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M. Racovitza a pu observer la mue de ces deux espèces d’animaux. Elle se produit à l’entrée de la saison froide contre les rigueurs de laquelle le nouveau plumage est destiné à les protéger. C’est une période critique pendant laquelle l’animal est exposé au froid, puisqu’il a perdu ses plumes, et à la faim puisqu’il n’a plus le vêtement imperméable qui lui permet de plonger sans se mouiller, pour chercher sa nourriture.

Pendant cette période difficile de jeûne, de froid et de malaise, les manchots semblent vouloir associer leurs misères ; ils se rassemblent par groupes de trente à quarante, derrière les abris qui peuvent les protéger contre le vent, dunes de neige, toross ou hummocks. Tandis qu’en temps ordinaire, ils étaient d’une placidité parfaite, indifférens à la présence des oiseaux, des phoques et de l’homme même, ils deviennent ombrageux, défians, hargneux et poussent des cris de colère assourdissans aussitôt qu’on s’approche d’eux.

Il est vraisemblable que tous ces oiseaux ont une histoire très analogue. Mais il est difficile d’en suivre tous les épisodes sur une même espèce. D’ordinaire, il faut en observer plusieurs espèces et combiner ensuite tous ces renseignemens fragmentaires. C’est ainsi qu’il a été procédé, avec les deux espèces de manchots dont nous venons de citer quelques traits. Les explorateurs de la Belgica ne les ont pas vus faire leurs nids, pondre et élever leurs petits. Et, en effet, il est naturel que ce ne soit point sur la banquise même qu’ils se livrent à ces soins de ménage. Il leur faut, pour nicher, des terres découvertes. Les uns vont les chercher plus avant vers le pôle, au point où finit la banquise, sur les plages étroites qui s’étendent au pied de la falaise antarctique. C’est là que les membres de l’expédition Borchgrevink les ont rencontrés. — D’autres manchots vont chercher la terre propice en arrière, hors de la banquise, sur les îles découvertes ; tel est le manchot antarctique : et c’est précisément dans le détroit de Gerlache, en avant de la banquise, que M. Racovitza l’a vu et qu’il a observé ses curieuses habitudes.

C’est au moment du printemps antarctique — qui correspond à l’automne de nos pays — que Borchgrevink et ses compagnons, installés au pied de la falaise glacée, sur la Terre de Victoria, virent arriver le premier pingouin. La date exacte est le 14 octobre 1899. Un triste souvenir la précise : c’est ce même jour que le zoologiste de l’expédition, Hansen, incapable de supporter plus