littéraire des journaux allemands, un rédacteur s’indigne de
l’inintelligence de ses confrères français, qui ne veulent voir en Nietzsche
qu’un poète et un fantaisiste ; et, dans le même numéro du même
journal, un feuilleton d’un savant professeur a précisément pour
principal objet d’établir que l’œuvre philosophique de Nietzsche n’est
qu’une série de contradictions, que sa doctrine de la « morale des
maîtres » est une monstrueuse folie, et que, malgré l’incomparable
beauté de son style et de ses images, on ne saurait assez se garder de
la prendre au sérieux : ce qui n’empêche pas ce professeur de le
proclamer, lui aussi, un « éducateur, » « parce qu’il a revendiqué les droits
de l’individu. » Plus typique encore est le cas d’un autre professeur,
un vieux philologue, qui a eu autrefois Nietzsche pour élève, et qui
résume en ces termes son opinion sur lui : « Je n’ai rien lu de lui que
son Origine de la Tragédie, ses Considérations intempestives, et certains passages de son Zarathustra. Et quelque admiration que j’aie
éprouvée, jadis, pour ses aptitudes, je dois avouer que je ne puis
accepter sa manière de penser, notamment en ce qui touche la philologie et la philosophie. Mais, en dépit de tout cela, j’ai l’impression
que sa direction d’esprit était voisine de celle de Gœthe : et c’est de quoi,
aujourd’hui, nous avons le plus besoin. Nous avons besoin de plus de
Gœthe ! » Plus de Gœthe ! est le titre d’une brochure qui a paru en
Allemagne, ces temps derniers, et qui y a fait grand bruit ; le digne professeur oublie seulement que cette brochure portait en sous-titre : Et
moins de Nietzsche !
« Moins de Nietzsche ! » c’est aussi la conclusion qu’on pourrait tirer d’un livre, en vérité tout à fait remarquable, que vient de publier sur l’auteur de Zarathustra M. Théobald Ziegler, professeur de philosophie à l’université de Strasbourg. Et d’abord je me hâte de constater que M. Ziegler est aussi exempt que possible de l’inconséquence que je reprochais tout à l’heure à la plupart des critiques allemands. Il n’admire Nietzsche que pour les qualités qu’il lui reconnaît ; et il lui en reconnaît beaucoup, et ses éloges ont d’autant plus de portée que chacun d’eux s’appuie sur un solide ensemble de preuves : mais, après avoir démontré le danger de la doctrine de Nietzsche, il ne proclame pas celui-ci un « éducateur, » et ce n’est pas lui non plus qui, ayant établi l’absence de toute notion positive dans l’œuvre du soi-disant philosophe, s’aviserait ensuite de le mettre au premier rang des créateurs de systèmes. Avec une science, une finesse, et une modération exemplaires, il analyse de proche en proche la formation et l’évolu-