Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/76

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
72
REVUE DES DEUX MONDES.

cœurs purs, car ils verront Dieu ; » il introduit dans l’ordre de la connaissance, dans l’ordre non seulement de la foi, mais de la raison elle-même, un élément de morale, c’est-à-dire de liberté, de mérite ou de vertu.

Toute opération de l’intelligence, y compris l’expression de nos idées, exige, pour être parfaite, le concours de nos facultés. « Pour écrire, il ne faut pas seulement sa présence d’esprit, il faut encore sa présence d’âme, il faut son cœur, il faut l’homme tout entier ; c’est à soi-même qu’il faut en venir. » À soi-même, à tout soi-même d’abord, mais pour monter plus haut, pour s’élever jusqu’à la suprême et divine concordance que le P. Gratry définit en ces termes : « Il faut apprendre à éviter non seulement tout mot sans pensée, mais toute pensée sans âme, mais tout état d’âme sans Dieu. »

Entre les modes mêmes du travail, entre les moyens pratiques de parvenir à la vérité, le rapport, bien plus, l’union est nécessaire. Les « Conseils pour la conduite de l’esprit » que le P. Gratry a rassemblés sous ce titre : les Sources, ne conduisent pas dans la voie solitaire. Lecture et prière, théologie et physique, morale et physiologie, « sources » divines ou seulement humaines, abreuvons-nous à toutes, si nous voulons que la vie totale afflue en nous. Organisons, ordonnons le temps lui-même. Consacrons le matin à l’étude et le soir au repos. Mais que ce repos, que le sommeil qui le suit, gardant un reste de pensée et de méditation, travaille en secret et porte des fruits. Connaissons la vertu mystérieuse des échanges et des alternatives nécessaires. Cessons parfois de lire, c’est-à-dire d’écouter, pour écrire : en d’autres termes, pour parler à notre tour ; puis cessons de parler de la sorte et taisons-nous : c’est encore une « source » que le silence. Ainsi le loisir et le recueillement autant que le labeur ; ainsi des formes de travail diverses et qui peuvent sembler contradictoires ; ainsi les heures du jour et celles mêmes de la nuit, tout enfin conspirera pour établir en nous la solidarité des facultés, et, comme disait saint Thomas, « la pénétration des forces. »

L’accord qui doit régner en nous, si nous voulons connaître, existe hors de nous, autour de nous, entre les objets mêmes de notre connaissance. Leibniz a formulé cette vérité quand il a dit : « Il y a de l’harmonie, de la métaphysique, de la géométrie, de la morale partout. » Il y a partout, ajoute le P. Gratry, de la physique et de la théologie. « La science comparée est la