Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/832

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déchéance d’une légende. « Il y a, depuis tantôt quatre-vingts ans, disait-il en sa préface, une légende des volontaires. Non seulement elle a faussé l’histoire, mais elle trouble encore aujourd’hui la question si importante et si débattue du système d’organisation militaire qui convient le mieux à la France. Rien ne vaut, rien ne supplée, même pour la guerre défensive, une armée permanente et régulière. » Les archives du ministère de la Guerre, savamment frustrées de leurs secrets, les livraient comme témoignages à l’appui de la thèse historique de Camille Rousset. Mais il était stérile d’espérer que des dépositions d’archives pussent prévaloir contre l’imagination dominatrice de Michelet, qui, dans son livre sur les Soldats de la Révolution, ressuscitait les armées de Sambre-et-Mouse et du Rhin, sinon telles qu’elles avaient été, au moins telles qu’elles auraient dû être d’après la philosophie républicaine. Dans les sphères démocratiques, on considérait cette philosophie comme plus vraie que l’histoire. On avait plaisir à se figurer que ces amans de la victoire avaient moins été des soldats que « des citoyens en armes, qui ne faisaient la guerre que pour fonder la paix, commencer la cité du monde ; » on admirait avec attendrissement ce mot de Hoche : « Si les soldats étaient philosophes, ils ne se battraient pas, » et ce mot de Marceau : « Mes lauriers vous feraient horreur ; ils sont teints de sang humain ; » la « sensiblerie » des deux héros leur faisait pardonner leurs épaulettes. Les antimilitaristes les plus ombrageux invoquaient une autre parole de Hoche, digne d’après Michelet d’être son épitaphe : « Fils aînés de la Révolution, nous abhorrons nous-mêmes le gouvernement militaire ; » et cette génération spontanée de généraux, — formés par leurs soldats, comme le disait Michelet, autant qu’ils les formaient eux-mêmes, — apparaissait comme la forme idéale de la défense nationale.

Après avoir remonté au-delà du premier Empire pour contempler, à travers le prisme aménagé par Michelet, une image conventionnelle des armées révolutionnaires, l’opinion républicaine promenait ses regards au-delà du Rhin, et elle entrevoyait l’armée prussienne sous la forme d’une milice. Elle convoquait, à l’arrière des troupes qu’elle avait vues manœuvrer dans Michelet, les troupes qui avaient vaincu à Sadowa, pour donner assaut, elles aussi, au vieux militarisme. Michelet, plus tard, avouait cette naïveté. « Nous étions charmés, dit-il quelque part, d’opposer à nos vieux traîneurs de sabre, aux militaires de métier,