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passé, vous Français, vous devez, plus que nous, vous exercer au renoncement ; il vous appartient de faire disparaître les dernières traces de votre politique dynastique et traditionnelle. » M. Chassin, sans prévoir que la France vaincue devrait bientôt s’exercer au « renoncement, » imprimait, en même temps, cet avis d’un autre correspondant d’outre-Rhin, Karl Grün : « Le premier jalon à planter dans le champ du bien-être général sera indubitablement la suppression des armées à cadres permanens et leur remplacement par les milices nationales, possibles seulement à leur tour par une refonte de l’instruction populaire. » C’est ainsi que les bons conseils de la démocratie allemande, pieusement enregistrés par la presse de gauche, pourvoyaient au bien de la France.

Vainement un roman d’Hermann Grimm : Puissances invincibles, révélé ici même par Saint-René Taillandier, laissait-il transparaître les liens qui rattachaient à la Prusse les États de l’Allemagne du Sud. Et vainement Richard Bœckh, le fils du célèbre helléniste, expliquait-il, en un long ouvrage, que « l’esprit allemand ne pourrait, sans avilissement, voir se continuer l’union de l’Alsace-Lorraine, partie importante de la nation allemande, avec un État étranger, si la France ne rendait à la langue allemande en Alsace ses anciens privilèges de langue nationale. » Vainement aussi Santallier, le fondateur de l’Union havraise de la paix, racontait-il les méfiances à demi invincibles qu’il avait rencontrées en Allemagne : « C’est là, écrivait-il, que nous avons de la peine à prendre pied : on craint en Allemagne que notre Union ne soit une œuvre dans l’intérêt de la France ; » et vainement laissait-il entendre que les rares adhésions qu’il avait recueillies dans la presse badoise avaient peut-être récompensé ses efforts, mais non point dissipé sa tristesse.

Lors même que M. Stoffel et lors même que M. Lefebvre de Béhaine eussent mis l’opposition en tiers dans les anxieux propos qu’ils tenaient au gouvernement impérial, l’opposition qui, dans la suite, accusa le second Empire de ne les avoir pas entendus, eût été la première à refuser de les écouter. Il semblait que certaines oreilles demeurassent volontairement rétives.

Michelet, par exemple, se trouvant en Suisse en 1867, assistait au gonflement d’orgueil des Prussiens ; il les entendait dire et redire : « De Sadowa nous devions aller à Paris ; nous le prendrons l’année prochaine… » Il coudoyait, en France, à de