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susceptibilités. Le 15 septembre, elle lançait un appel aux Frères de France et d’Allemagne. L’appel débutait par un cri de joie : « Le principal obstacle à la paix de l’Europe est tombé, disaient les maçons bruxellois… L’Empire a cru se sauver par la guerre, la guerre l’a perdu. Le sang qui a coulé sera fécond si la politique guerrière y reste noyée pour toujours. » Cette apologie voilée de la journée de Sedan et des conséquences universelles qu’on en attendait n’était que la préface d’une double invitation adressée aux deux maçonneries des nations belligérantes.

On conviait l’Allemagne à faire en sorte « que l’hydre vaincue ne trouvât pas dans cette rosée horrible la force de repousser une nouvelle tête, » à relire les pages de Kant en l’honneur de la paix, à prêter l’oreille aux plaintes du démocrate Jacoby, qui criait : A bas les armes ! et à ne point justifier l’anxieuse clameur de Venedey : « Malheur aux victorieux ! » Quant à la France, les maçons bruxellois lui disaient : « Tu es plus délivrée que vaincue… C’est ton droit, peuple de 1789, de 1830 et de 1848, de dégager ta responsabilité future de tout lien avec un gouvernement qui, malgré toi, contre toi, a restauré le militarisme. Car tu ne peux rompre trop solennellement avec cet esprit de gloire, mortel à la liberté… » Cette délivrance valait la peine d’être payée ; l’éternelle proscription du militarisme ne pouvait être achetée trop cher. Sans ambages, les maçons de Bruxelles le signifiaient à la France : « La paix ! La paix ! s’écriaient-ils ; et si elle tient à une question de forteresses, prends toi-même la pioche : ce sera démanteler l’œuvre de tes oppresseurs. Ta véritable forteresse doit être un peuple instruit et libre… La paix ! et, si l’on te demande davantage, puisse la liberté t’avoir rendu la vigueur des nobles résolutions ! » La phrase était troublante ; jusqu’où la France, pour être digne de la liberté retrouvée à Sedan, devrait-elle pousser la noblesse de la résignation ? Or, les Bruxellois de répondre, avec une œillade, sans doute, pour la maçonnerie d’Italie : « Tu rejettes la politique de César, ô France ; rejette aussi ses présens. Renonce à ce que cette parodie de suffrage, dont tu as été dix-huit ans victime, t’a donné de territoires : désarme la conquête en rendant à Garibaldi sa patrie ; et fais-toi grande en revenant à des frontières qui ont suffi à la France de Juillet et de Février. »

C’est ainsi que les complimens qu’adressait à la France émancipée l’humanitarisme international se terminaient tous par un appel au renoncement : on eût dit qu’elle devait payer rançon