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quelque sorte de se perdit ; en s’étendant sur tous les hommes ses semblables, et qui est la région impersonnelle par excellence, celle où l’être humain s’éloigne le plus de l’égoïsme animal. Or, de même que l’aigle qui s’élance vers les hautes régions de l’atmosphère ne peut les atteindre qu’après avoir traversé les couches inférieures, de même l’essor moral, qui enlève l’homme aux extrêmes limites de la sphère du moi, le fait passer par les étapes intermédiaires… L’âme qui a pu s’ouvrir à l’enseignement maçonnique du dévouement à la lointaine humanité ne saurait méconnaître la loi du dévouement à la patrie, qui la touche de plus près.


Macé ne s’attarde point sur ces cimes, qu’on dirait effilées en pointe d’aiguille ; il descend bientôt sur le terrain pratique. « Il y a, dit-il, une manière de comprendre le patriotisme, dont la patrie peut souffrir cruellement. » Et il la définit : c’est la fascination des idées de violence et de conquête ; elles entraînent des représailles, des périls, des contre-coups néfastes. Voilà donc un point où le premier devoir du citoyen est le même que celui du maçon : il doit consacrer toute son énergie à se mettre en travers de pareilles idées. Le vrai patriotisme consiste à assurer à son pays « la palme du progrès dans l’instruction ou dans la civilisation, » et voilà un second point où le devoir du citoyen est le même que celui du maçon : d’autant, ajoute Macé, que « le progrès d’instruction et de civilisation réalisé par un peuple profite toujours aux autres. » En résumé, conclut-il, « le patriotisme et la maçonnerie, placés à une hauteur inégale sur la même échelle, ne font qu’un dans la pratique ; la vraie manière d’être patriote, c’est de l’être à la façon des maçons. » Macé ne pouvait quitter ses frères de l’Alpina sans dire une dernière fois sa surprise au sujet des récriminations allemandes : « Soyons fermes, s’écria-t-il. La maçonnerie a un rôle tout tracé dans les jours néfastes que nous traversons, c’est d’être partout à l’avant-garde du parti de la paix, de celle qu’appelaient de leurs vœux les maçons signataires du manifeste de Kehl. Ce rôle, elle pourra, ici ou là, l’oublier ; mais il lui est interdit par ses principes de le répudier ; quiconque le répudierait de parti pris ne serait plus maçon. »

Cependant, quelle que fût l’adresse de François Favre à tirer argument des insultes allemandes ou la complaisance de Jean Macé à les oublier, une question se dressait, qu’on eût pu croire impossible à éluder : quels devaient être, désormais, les rapports officiels entre la maçonnerie française et la maçonnerie allemande ? Le grand maître, Babaud-Laribière, et les membres du Conseil de l’Ordre, avaient à cet égard les dispositions les plus