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d’ailleurs, que leur entretien suffit à les exclure de l’usage quotidien. Jamais plumeau ni torchon ne doit approcher les moulures modern style de ces dressoirs ou de ces caisses abois : il faut des linges spéciaux, et mieux encore, il faut que les valets de chambre manient le pinceau. Quelle apparence y a-t-il après cela qu’on puisse les approcher avec des bûches ? « Ce sont des meubles de musée ! » disent avec orgueil leurs admirateurs. De fait on est venu de Kensington, de Berlin, de Bergen, de Tokio, en acheter une foule pour les Musées. On a fort bien fait, car ces meubles ne peuvent pas servir à autre chose. Là, dans ces nécropoles de l’art, on trouvera tout naturel que des fauteuils soient faits pour ne pas s’asseoir, des coupes pour ne pas y boire, et des assiettes pour ne pas y manger. Déjà l’on voit au Musée Galliera un lavabo qui a passé de l’atelier au Salon annuel et du Salon au Musée avec honneur sans avoir, un instant, été réduit à des travaux serviles. Quand les Musées seront tous peuplés d’objets semblables, les foules ne nous paraîtront plus si naïves de s’extasier devant le meuble qui endura le canif de Napoléon, à Fontainebleau, ou la table de bois sur laquelle Louis XVIII écrivit la Charte, car il sera devenu remarquable et presque extraordinaire qu’un secrétaire ait servi à écrire ou une marmite à faire la soupe. Seulement, du jour où l’objet d’art décoratif ne peut être utilisé dans la vie, il ne faut plus prétendre qu’il embellit la vie. Il n’embellit que les Musées.

Aussi bien, c’est là qu’on vénère précieusement les choses qui se démodent. C’est donc là que doivent rester logiquement les meubles de formes modern style. Car le goût des choses compliquées et obscures, qui a sévi si violemment en France pendant ces dernières années, ne devait pas éclipser longtemps le rayon de la clarté nationale. La condescendance française a des bornes, et les mêmes indifférens de bonne volonté qui ont bien voulu admirer de confiance le Balzac de M. Rodin, par amour de l’imprévu et du rarissime, refusent énergiquement de s’asseoir sur les sièges pointus du style nouveau. Cette mode qu’un jour apporta, un jour l’emporte. Les meubles modern style dont on avait embarrassé (quelques salons, en ces dernières années, ont déjà commencé, vers les étages supérieurs des maisons, l’ascension fatale des choses démodées. Lorsqu’on quitte cette floraison artificielle par la porte des Invalides, il semble que les vieux canons, aux formes voulues par les grands siècles d’art, se soient