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Ils rêvèrent de donner à la terre émaillée ce revêtement somptueux, ces couleurs profondes qui embellissent, çà et là, nos poteries anciennes. Mais ils ne voulaient plus de cet éclat emprunté dont la manufacture de Sèvres avait autrefois soin de peindre et d’orner ses porcelaines. Ces décors dorés ou bariolés qui firent l’admiration de tout un siècle, peints par-dessus la porcelaine ou venant s’y ajouter, collés dessus comme un timbre sur une enveloppe et ensuite passés au four à un feu peu élevé, ne faisaient point partie intégrante de l’ouvrage. On pouvait ainsi obtenir les décorations les plus compliquées et les plus fines, mais elles restaient parasites. Logiquement, il était inutile de chercher à grands frais et à grand’peine sur de la terre des effets de peinture qu’on obtenait plus aisément sur la toile ou sur le papier. Esthétiquement, la couleur qui n’avait pas été cuite au grand l’eu comme la pâte se marquait sur celle-ci en des contours nets, durs comme dans un graphique, au lieu de passer insensiblement d’une nuance à l’autre comme dans une fleur.

Pour obtenir ces gradations insensibles, comment faire ? Il fallait faire appel à un collaborateur puissant, mais fantasque et terrible : le grand feu. En effet, si vous prenez un vase de grès au moment où il sort des mains du potier, que vous le recouvriez, par place, d’une pâte contenant un des oxydes qui colorent, et que vous fassiez cuire le tout au grand feu à 12 ou 1 300 degrés, la couleur que vous avez posée se met à cuire tout ensemble avec le grès primitif, y fondra ses contours. Mais, d’une part, le grand feu est difficile à manier, les hasards y sont périlleux, ses fortunes incertaines. D’autre part, lorsque les novateurs se mirent à l’œuvre, on connaissait peu d’oxydes colorans applicables à la céramique. On était donc réduit à deux ou trois couleurs très sobres, à des bruns, ensuite à des bleus, enfin à des verts. Cette gamme était courte, mais chaque note en était puissante, parce qu’elle était donnée, non plus par un colorant tard venu, mais par une couleur qui avait vécu dans la flamme la vie et les épreuves du grès lui-même, par une âme qui avait couru les risques de la matière. Il fallait oser rivaliser avec les succès faciles obtenus au petit feu. Il fallait oser présenter au public des œuvres qui n’étaient purement que des ouvrages de potier et l’amener à prendre toute sa jouissance dans les seules qualités purement esthétiques d’une radieuse couleur.

Les modernistes l’osèrent. On était en 1883. De toutes parts