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Isaïe, 3, 4 ; 10, 5) ; et, la Providence ayant ses raisons que nous ne connaissons pas, c’est elle dont nous devons respecter les desseins, même quand ils s’incarnent dans la férocité d’un Néron ou d’un Caligula. Tout cela se tient, s’enchaîne, se commande. Et tout cela enfin s’accorde avec le tempérament autoritaire de Calvin. « Cependant que j’avais toujours ce but de vivre en privé sans être connu, — a-t-il dit quelque part, — c’est Dieu qui m’a produit en lumière et fait venir en jeu, comme l’on dit. » Je ne doute point que Calvin l’ait cru. Mais on ne saurait en ce cas se tromper plus étrangement sur soi-même.

Tel est le contenu de l’Institution chrétienne, et une fois encore il faut convenir que nous n’avions pas avant elle, en français, de monument littéraire qui lui puisse être comparé. Ce n’est pas que l’injure ou l’invective n’y soit encore trop fréquente ! « Je pense avoir profité quelque chose, dit-il à la fin d’un chapitre, en découvrant la bêtise de ces ânes. » De quoi s’agit-il donc ? de la « foi justifiante » ou de la « transsubstantiation ? » Non, mais de quelques empêchemens que le droit canonique a cru devoir mettre au mariage entre eux des parens ou alliés. Mais n’insistons pas sur ce manque de mesure ou de goût ! Louons plutôt l’enchaînement des idées. Il est de telle sorte, si vigoureux et si solide, que, par quelque endroit du livre qu’on essaie d’en prendre la doctrine pour l’exposer, ce n’est pas seulement toujours la même doctrine qui revient, c’est toujours la même liaison, la même logique, et la même dépendance et subordination des parties. Louons encore la langue, dont la qualité, il est vrai, n’a rien de commun avec la fluidité de la langue des Amadis ni avec l’originalité composite de la langue de Rabelais, mais dont la sévérité ne laisse pas d’avoir sa noblesse, et la raideur même ou la tension, leur majesté. Elle n’est pas toujours aussi nue qu’on l’a dit, et les « ornemens » n’y font point défaut. Entre autres dons, Calvin a celui de la comparaison familière et pittoresque. « Voudrions-nous, demandera-t-il, que les hommes vécussent comme rats en paille ? » Ceux qui prétendent se passer de ce que les enseignemens de l’Écriture ajoutent à la connaissance naturelle de Dieu lui font l’effet de ces « vieilles gens larmeux, ou comme que ce soit ayans la vue débile, qui veulent lire sans lunettes. » Il nous représente ailleurs Ismaël « déchassé d’Abraham et jeté comme un pauvre chien au milieu d’une forêt. » Il a même déjà le rythme, le rythme oratoire, tantôt plus lent et tantôt plus pressé.