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protestante ; et, sur quelque point de morale ou de théologie qu’une difficulté s’élève, c’est à lui que l’on en réfère ; et il prononce, et il décide ; et on s’honore d’une lettre de sa main ; et, insensiblement, de la morale ou de la théologie son autorité s’étend aux choses de la politique. Écoutons-le parler aux rois.

Je ne vous écris, Sire, que le bruit commun, écrit-il au roi de Navarre, mais dont trop de gens sont abreuvés. C’est qu’on murmure que quelques folles amours vous empêchent ou refroidissent de faire votre devoir en partie, et que le diable a des suppôts qui ne cherchent ni votre bien ni votre honneur, lesquels par tels allèchements tâchent de vous attirer à leur cordèle ou bien vous adoucir en sorte qu’ils jouissent paisiblement de vous en leurs menées et pratiques… Je vous prie donc, Sire, au nom de Dieu, de vous éveiller à bon escient, connaissant que la plus grande vertu que vous puissiez avoir est de batailler contre vos affections, retrancher les plaisirs mondains, dompter les cupidités qui vous induisent à offenser Dieu, mettre sous le pied les vanités qui nous égarent bientôt. Car, combien qu’en cette grandeur et hautesse royale il soit difficile de se tenir en bride, si est-ce que la licence que se donnent les plus grands est tant moins excusable, puisque Dieu les a plus étroitement obligés. Et faut que la sentence de notre seigneur Jésus tienne, que le compte sera demandé à chacun selon qu’il aura reçu (Lettres françaises. II, 400, 401).

Citons encore quelques lignes d’une autre de ses lettres. Le 30 avril 1562, les protestans de Lyon s’étaient emparés de la ville, et leur triomphe avait été suivi des pires excès : ils étaient commandés par le fameux François de Beaumont, baron des Adrets.

Monsieur, lui écrit Calvin à ce propos, nous savons bien que Dieu, pour nous tenir en bride, attrempe toujours les joies qu’il nous donne de quelques fâcheries qui sont mêlées parmi, et pourtant (c’est pourquoi) nous n’avons pas été trop ébahis d’ouïr qu’on eût excédé mesure au changement qui est arrivé à Lyon. Et, combien qu’il nous ait fait mal qu’on se fût donné trop de licence en quelques endroits, toutefois nous avons porté cela paisiblement. Mais, depuis que vous êtes arrivé pour avoir la superintendance des affaires, il est bien temps qu’on se modère, et même que ce qui était confus soit remis en bon ordre… Si est-ce donc, monsieur, qu’il faut vous y évertuer, et surtout à corriger un abus qui n’est nullement supportable, c’est que les soudards prétendent de butiner les calices, reliquaires, et tels instrumens des temples… Car, en premier lieu, si cela advenait, il y aura un horrible scandale pour diffamer l’Évangile, et quand la bouche ne serait point ouverte aux méchans pour blasphémer le nom de Dieu, si est-ce qu’il n’est pas licite, sans autorité publique, de toucher à un bien qui n’est à aucune personne privée… (Lettres françaises, II, 469-470).

Nous ne savons pas si le baron des Adrets répondit à cette lettre, ni ce qu’il y répondit ; mais, en lui écrivant d’une manière