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tout entiers dans un livre eut dont c’est, au surplus, le grand mérite d’avoir su écrire ce livre.


Ces mélancoliques que raillait la gaieté bien portante de Gabriel Vicaire, ces rêveurs de rêves inquiétans, Albert Samain fut l’un d’eux. En fait il ne s’était embrigadé dans aucune école ; surtout il répudiait les excentricités tapageuses, tout ce qui n’est que batelage forain destiné à faire se retourner les passans. Il a vécu tout à fait ignoré : on ne le rencontrait nulle part ; on ne savait rien de lui, pas même son âge. Il a écrit très peu. Toute son œuvre publiée tient dans deux minces recueils où d’ailleurs on chercherait vainement un vers qui ne fût de la plus pure coupe parnassienne. C’est par sa conception de l’art et par l’espèce de sa sensibilité qu’il se rattache à l’école symboliste et plus particulièrement à l’influence de Baudelaire.

Une musique qui éveille au fond obscur de nous-mêmes un plaisir tout sensuel et fait courir en nous des frissons de volupté douloureuse, telle est la poésie dont rêve Albert Samain et qui donne à ses meilleures pages leur charme alangui :


Je rêve de vers doux et d’intimes ramages,
De vers à frôler l’âme ainsi que des plumages,
De vers blonds où le sens fluide se délie,
Comme sous l’eau la chevelure d’Ophélie,
De vers silencieux et sans rythme et sans trame
Où la rime sans bruit glisse comme une rame,
De vers d’une ancienne étoffe, exténuée,
Impalpable comme le son et la nuée ;
De vers de soirs d’automne ensorcelant les heures
Au rite féminin des syllabes mineures,
De vers de soirs d’amour énervés de verveine
Où l’âme sent, exquise, une caresse à peine,
Et, qui, au long des nerfs baignés d’ondes câlines
Meurent à l’infini en pâmoisons félines,
Comme un parfum dissous parmi des tiédeurs closes,
Violes d’or et pianissim’ amorose
Je rêve de vers doux mourant comme des roses.


N’y cherchez donc ni l’expression d’aucune idée précise, ni la traduction d’aucun sentiment défini, ni la description d’aucun spectacle limité. Mais, à la tombée du crépuscule, c’est un charme de suivre le