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Il s’agissait de la création de Conseils du travail, institution qui aurait pu être excellente si elle avait été faite par d’autres mains. Dans ces conseils, destinés à préparer la solution de toutes les difficultés entre le capital et le travail, les syndicats seuls seront représentés. S’il y a des ouvriers en dehors des syndicats, — et on sait qu’actuellement la grande majorité d’entre eux n’en font point partie, — ils seront tenus pour non existans : de la sorte, comme le disait l’autre jour un bon socialiste, sentant qu’ils ne peuvent pas vivre en dehors des syndicats, ils seront bien forcés d’y entrer. Est-ce tout ? Non. M. Millerand n’aurait pas rempli toute sa tâche s’il se contentait de rendre le syndicat obligatoire et si l’arbitrage ne l’était pas. Il le sera donc. Nous approuvons fort l’arbitrage pourvu qu’il soit libre ; il ne sera plus libre. On fera bien alors d’en changer le nom, car l’arbitrage, s’il n’est pas facultatif pour chacune des parties, perd son caractère essentiel. Il peut être un tribunal, un jury, tout ce qu’on voudra ; il n’est plus l’arbitrage. Au reste, M. Millerand se préoccupe fort peu du mot : la chose seule l’intéresse. Lorsqu’un différend éclatera entre les ouvriers et les patrons, il veut qu’il y ait une autorité préalable pour prononcer entre ceux-ci et ceux-là, et que cette autorité émette des sentences obligatoires et sans appel. L’obligation est partout, la liberté nulle part : celle du travail a complètement disparu.

Nous avons dit que M. Waldeck-Rousseau avait toujours été l’adversaire du syndicat et de l’arbitrage obligatoires ; et, si nous le répétons, ce n’est pas pour le vain plaisir de mettre un ministre en contradiction avec un autre, — bien que nous ayons le droit de le faire et de nous demander ce que devient alors la solidarité ministérielle, — mais parce que nous sommes pleinement d’accord avec M. le président du Conseil. Il y a juste un an, au mois d’octobre de l’année dernière, il rendait entre la Société et les ouvriers du Creusot une sentence arbitrale que nous avons à cette époque approuvée sans restriction. La plupart des questions que M. Millerand a traitées à Lens s’y trouvaient aussi traitées et même résolues, mais dans un sens tout opposé. En ce qui touche par exemple le caractère facultatif du syndicat, M. Waldeck-Rousseau rappelait avec force que « le respect de la loi de 1884 exclut toute distinction de traitement, suivant que les ouvriers sont ou ne sont pas syndiqués. » Le syndicat n’étant pas à ses yeux obligatoire pour les ouvriers, il se gardait bien d’imposer aux patrons l’obligation de ne traiter qu’avec lui. Et ici nous ne pouvons mieux faire que de citer encore ses propres paroles, parce qu’elles mettent également en relief les mérites et les limites du syndicat. L’arbitre,