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suadé que son prople plan était celui qui démoraliserait le plus l’armée allemande : en quinze jours, Bourbaki, maître des Vosges, se rabattrait, vainqueur… Le sort en était jeté. Au lieu d’une action commune, plus rien que des opérations individuelles, des efforts décousus.

Du moins Chanzy, n’ayant plus à compter que sur lui, aiguillonnait ses colonnes mobiles. Des engagemens avaient eu lieu, qui nettoyaient un moment le pays. Mais lentement, après un répit, les Allemands avançaient, battant Rousseau et Jouffroy en détail ; dans le coup de feu des escarmouches, par les froides journées de neige et de brouillard, ils sinuaient le long des routes, à travers le pays peu praticable à la cavalerie, à l’artillerie, accidenté de vallées étroites, de coteaux et de chemins creux, couvert de bois et de villages, hérissé de clôtures. De toutes parts, on se repliait vers le Mans. Un vent d’ouest tempêtait, les fossés étaient jonchés de voitures, il fallait pousser à plat de sabre les chevaux sur le verglas. La voix du canon se rapprochait, les fuyards se répandaient, l’ennemi était là. Mecklembourg et Frédéric-Charles arrivaient, ramenant, pour le choc définitif, leurs troupes à bout, l’un par la vallée de l’Huisne, l’autre par les routes de Saint-Calais, de Vendôme et de Tours ; ils progressaient chaque jour, rétrécissant le demi-cercle que formaient leurs soixante mille fantassins, leurs quinze mille cavaliers et leurs trois cents canons. Le 9, ils atteignaient les avant-postes, s’emparaient de Connerré, de Thorigné et d’Ardenay.

Alité depuis quelques jours, dévoré de fièvre, Chanzy retrouve sa volonté lucide ; il embrasse d’un coup d’œil la situation compromise, dicte des instructions sévères, où sa douleur frémit. La retraite, dont on parle autour de lui, il la rejette fièrement, elle ne mène à rien qu’au désordre ! On attaquera, on reprendra les positions perdues. Qu’on n’allègue pas le mauvais temps, il sévit pour les Allemands aussi. Une vigoureuse offensive, et l’on vaincra.

Ces paroles altières, dont Eugène perçoit l’écho dans les ordres lus devant les troupes le matin du 10, sous la neige qui tombe, il se les répète sans conviction en marchant. En avant d’eux, Parigné se détachait sur sa colline, dans la tranquillité des bois. Au même instant, le canon s’élevait. Et aussitôt, le 75e appelé en ligne se sépara. Une partie du bataillon d’Eugène se dispersa en tirailleurs. Dès lors, ce fut, comme à travers un accès de fièvre