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On a beau savoir qu’elle fut composée tout entière en 1802 ; on dirait pourtant que le finale pressent la trahison, qu’il l’annonce et d’avance la maudit. Sublime d’emportement et de colère, il rappelle, il égale, s’il ne les dépasse, les plus terribles anathèmes qu’ait jetés, comme disait Vigny, « la bonté d’homme » à « la ruse de femme, » et dans son fracas, dans ses fureurs, on croit toujours entendre retentir le mot farouche et justicier : « Elle cherchait moi pleurant, mais je la méprisais. »

Il est une autre sonate, moins célèbre, où se révèle dans toute sa simplicité et toute sa grandeur le pur ithos beethovenien : c’est la sonate en mi bémol, op. 81. Elle se divise en trois morceaux, intitulés par Beethoven lui-même : les Adieux, l’Absence et le Retour. Qui donc était parti, puis revenu ? L’élève et l’ami du maître, l’heureux titulaire de tant de chefs-d’œuvre, l’archiduc Rodolphe, à qui cette sonate, entre autres, est dédiée. Elle commence par un court adagio : sous les trois premiers accords, les plus simples du monde, sont écrites les trois syllabes (Lebe wohl ! ) de l’adieu allemand. Après quelques modulations sombres éclate soudain l’allegro, et ce changement brusque, à lui seul, est comme une leçon d’activité et de courage, même dans la tristesse, même après la séparation. Il condamne l’abattement et l’abandon de soi. Il traduit par les sons le mot énergique de Gœthe sur la vie : « Dasein ist Plicht, l’être est un devoir. » De ce premier morceau tout le développement, ou, comme disait le regretté George Grove, le « working-out » est magnifique. Nulle part on ne voit mieux comment Beethoven sait tirer d’un fragment de la mélodie première un ensemble nouveau ; comment, avec un élément partiel, il reconstitue un tout, un ordre complet et vivant. A la fin du morceau, dans une délicieuse coda, les trois notes de l’adieu reviennent. Enveloppées et comme voilées de traits légers et rapides, elles s’éloignent comme celui qui s’en va, jusqu’à ce que deux accords vigoureux, un peu rudes à dessein, hâtent la conclusion et nous sauvent sinon de la tristesse, au moins du découragement et de la lâcheté.

Le thème de l’adagio (l’absence) est fait, comme celui de l’adieu, de trois notes, mais de trois notes tout autres. Au lieu de descendre, elles montent. Le doute, l’angoisse est en elles. Avec une insistance, une émotion qui redouble, elle ne cessent d’interroger. On pense aux vers fameux, pleurant une absence aussi : « Mon frère a-t-il tout ce qu’il veut ? » et l’on sent bien