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si le caoutchouc et l’ivoire qui assurent les bénéfices actuels venaient à manquer ? Ni le bois, ni les minerais, ni même les récoltes indigènes ne peuvent supporter les tarifs en vigueur. Les convaincus répondent à cela que la Compagnie a bien raison d’escompter son monopole et de faire payer très cher le transport de certaines marchandises, puisqu’elle en est encombrée. En attendant les événemens, elle fait de bonnes affaires ; nul doute qu’en raison de l’accroissement des sociétés commerciales, de la mise en valeur de nouveaux territoires, ce trafic ne se développe encore. Et, si quelque jour il fallait abaisser les tarifs pour combattre peut-être une ligne concurrente, le transit, aujourd’hui dédaigné, des articles de second ordre compenserait largement, grâce à des améliorations déjà étudiées, la diminution des prix du transport. Au surplus, la Compagnie détient encore une réserve de profits dont jusqu’à présent elle n’a pas fait usage : outre les terrains nécessaires à la construction de la voie et 200 mètres de chaque côté de cette ligne, l’Etat lui donne 1 500 hectares de terres à choisir où il lui plaira pour chaque kilomètre de voie construite, soit un lot de 600 000 hectares à exploiter en toute propriété.

A peine la gare franchie, la montée commence. Elle est imposante par sa hardiesse. De cette route en corniche, qui dessine les difficultés vaincues, on juge de la ténacité qu’il a fallu déployer contre une nature hostile, comme hérissée pour barrer le passage. Nous roulons à pic au-dessus du Congo, puis brusquement, suivant un de ses affluens, nous quittons le fleuve, que le tracé rejoindra seulement près de Léopoldville. Sur tout le parcours nous apercevons des équipes d’ouvriers occupés à perfectionner les travaux que la hâte de la première heure n’avait pas permis d’étudier suffisamment. Il y en a ainsi plus de 4 000, employés par la Compagnie et, chose intéressante, ils sont tous indigènes, alors que, dans les débuts, il fut impossible d’en recruter même une centaine. Et comme je m’étonnais de les voir déjà occupés à remplacer des traverses, on m’explique qu’aux heures de crise, quand l’argent manquait, la direction s’était décidée à poser des billes de bois en dépit des termites qui les réduisent si vite en poudre, car il fallait à tout prix avancer sans s’attarder par l’attente des matériaux d’Europe. Et on me rappelle, à ce propos, la réponse du colonel Thys, le hardi et persévérant promoteur de cette ligne : comme ses ingénieurs lui