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sur une étendue de 8 kilomètres. Tumba, de création récente, se compose d’une gare, d’un camp d’instruction et de magasins d’échange, car c’est le point de bifurcation des caravanes qui se dirigent vers la province méridionale du Kwango, dont les habitans sont depuis longtemps en relations commerciales avec les Européens. Cette station, comme d’autres localités plus éloignées, grâce à son altitude au-dessus de 500 mètres, me semble appelée à jouer un rôle important dans l’avenir du Congo. L’on y respire un air excellent et vif ; les nuits y sont toujours fraîches. Sous un climat aussi supportable, les blancs, surtout leurs femmes et leurs enfans, pourraient séjourner à l’abri du danger des latitudes équatoriales. Des habitations confortables seraient nécessaires pour en faire la résidence des agens mariés de la Compagnie, qui se décideraient alors à faire venir leurs familles d’Europe. Favoriser ce mouvement aurait l’excellent résultat d’introduire la vie sociale au Congo, car pour le moment elle n’existe pas, la femme civilisée en étant absente.

J’ai rencontré pour la première fois à Tumba un homme atteint de la bizarre maladie du sommeil. Il était complètement engourdi, négligeant tout ce qui le distrayait de son seul besoin : dormir. Le fléau fait en ce moment d’inquiétans progrès et l’on constate de tous côtés non pas seulement des cas isolés, mais de véritables épidémies. Elles ne sévissent encore que sur les indigènes, mais la mission importante de Berghe-Sainte-Marie, située à l’embouchure du Kassaï, en éprouve à tel point les effets qu’il est question d’abandonner la région.

De Tumba, le chemin de fer, qui s’élève encore à 750 mètres d’altitude, nous fait traverser la mission des Pères Jésuites, concession si vaste qu’il faut trente-six heures de marche, me dit le supérieur, pour la parcourir dans sa longueur, et dix heures dans sa largeur. Cette mission, de l’avis des autorités les plus diverses à qui j’en avais parlé, est fondée sur le système d’évangélisation et de colonisation qui s’applique le mieux aux noirs. Le principe des Jésuites consiste à former des groupes, qu’ils appellent des fermes-chapelles, sous la direction d’un catéchiste responsable vis-à-vis des missionnaires. Ceux-ci y font de fréquentes inspections. Les fermes-chapelles sont dirigées de façon à se subvenir graduellement à elles-mêmes par la culture et la main-d’œuvre ; elles bénéficient du travail en commun, vivant sous un régime familial avec une teinture de collectivisme dont il sera intéressant