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d’informes peignoirs de cotonnades où elles s’engoncent en perdant toute leur grâce native. C’est la mode, et elles y passeront toutes, les jours du moins où elles n’iront pas toutes nues.

Une excursion sur le Pool, dans un petit remorqueur, fut organisée afin de me montrer en détail cette magnifique nappe d’eau ; nous devions remonter jusqu’à l’étroit chenal dont les rives resserrées forment au fleuve un torrentueux couloir d’où il s’épanche dans le Pool. Ce fut une journée pleine d’incidens, échantillons des accidens variés qui se produisent dans la navigation du Haut-Congo. Les eaux étant exceptionnellement basses, le pilote commença par nous mener sur un banc de sable qu’heureusement la force acquise nous permit de traverser. Mais il avait fallu faire un grand détour, et, le combustible venant à manquer, on débarqua l’équipage sur l’île la plus proche afin de ramasser du bois mort pour alimenter notre chaudière.

Plus on avance dans le Pool, plus il prend d’importance, se dégageant des îles qui l’encombrent en aval et s encadrant dans une ceinture de montagnes ou de falaises escarpées et toutes blanches. Le chenal où nous arrivons vers le milieu du jour est comme le goulet de cette immense nappe d’eau qui mesure cinq cents kilomètres carrés. C’est un des points périlleux de la navigation sur le fleuve, dont le courant entraîne avec violence les navires trop chargés sur des roches invisibles au milieu du tourbillon des eaux. Justement nous allions voir un bateau de l’Etat qui s’était échoué, ayant failli perdre tout son chargement de deux cents tonnes de caoutchouc. On lui fermait ses blessures après avoir transbordé les passagers ; mais l’équipage restait, ainsi que les femmes des matelots bangalas, véritable harem, installé dans l’entrepont. Elles étaient nonchalamment couchées sur les planches, quelques-unes dans des chaises longues, jouant avec leurs colliers de perles en verroterie qui se marient si bien à leur peau bronzée. On les embarque en qualité de femmes de l’équipage, et elles sont aussi indispensables à bord que la ration, se prêtant d’ailleurs à des combinaisons, à des associations, à des syndicats des Bangalas entre eux. Le capitaine n’a rien à y voir, il sait seulement que, pour avoir des matelots, il faut embarquer des femmes, et il en embarque.

La forme de ces navires à fond plat, à étages et à grande roue d’arrière rappelle ceux des fleuves d’Amérique. Le Bradant et le Hainaut sont maintenant les vapeurs les plus importans qui