Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/240

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans la voie des occupations de territoires. Elles ont, toutes deux, ce qu’on peut appeler des sphères d’ambition qui se pénètrent, sans parler de leur rivalité commerciale, qui les mettra de plus en plus dangereusement en contact. L’intention véritable de l’article 3 est indiquée nettement dans le discours que l’empereur Guillaume a adressé, il y a quelques jours, au bourgmestre d’Elberfeld. « L’entente, a-t-il dit, avec le plus grand des États germaniques en dehors de l’Allemagne sera, dans l’avenir, un puissant adjuvant pour les efforts communs des deux peuples sur le marché du monde, où ils pourront se faire une concurrence amicale sans aucun choc hostile. » Tel est le désir de l’Empereur. Remarquons, en passant, la singularité de l’expression qu’il applique à l’Angleterre, en l’appelant le « plus grand État germanique » après l’Allemagne : ne pourrions-nous pas, de même, nous rappelant que l’Angleterre est après tout une colonie normande, l’appeler le plus grand État gaulois après la France ? Qu’il soit germanique ou non, l’empereur Guillaume se propose d’éviter autant que possible les chocs entre cet État et le sien, et, sentant bien qu’il pourrait s’en produire un en Chine, il prend ses précautions en conséquence. Rien de plus sage ; mais en quoi cela nous regarde-t-il ? En quoi cela regarde-t-il les autres puissances ? Les arrangemens particuliers de l’Angleterre et de l’Allemagne, dans l’hypothèse où leurs intérêts pourraient se trouver en conflit, sont chose anglo-allemande, et, plus nous y réfléchissons, moins nous comprenons qu’on ait demandé à des tiers d’y adhérer. Lorsqu’il s’agit de principes, il est naturel qu’on sollicite notre adhésion, et naturel que nous la donnions. La porte ouverte, l’intégrité territoriale de la Chine sont, nous l’avons vu, des principes ; mais on nous fera difficilement admettre que l’opportunité, dans une circonstance donnée, d’un arrangement exclusivement limité à l’Angleterre et à l’Allemagne puisse jamais en devenir un. Qu’on lui donne tout autre nom qu’on voudra, mais non pas celui-là. Ah ! si l’on disait que, dans le cas où une puissance, manquant à la foi commune, se mettrait à accaparer des territoires, toutes les autres devraient immédiatement échanger leurs vues afin de pourvoir à une situation nouvelle, la généralité des intérêts en cause permettrait peut-être de faire de cela un principe. Mais l’Angleterre et l’Allemagne ne disent rien de pareil. Elles ne s’occupent que de leur intérêt à elles ; elles ne règlent que leurs affaires à elles. Et elles nous proposent d’adhérer à cela ! On comprendra que nous demandions quelques explications.

D’autant plus que rien ne nous assure que les précautions prises par elles ne visent réellement personne. Nous voulons bien le croire,