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dans mes recherches historiques. Il est même d’autant plus difficile d’en rendre compte qu’elle s’applique à des faits plus récens et plus faciles à vérifier. On a vu que la ligne de conduite à suivre dans l’entreprise délicate d’assurer l’affranchissement de la Belgique sans compromettre la paix générale avait été tracée, avant l’ouverture de la Conférence, par une instruction du roi lui-même, que Talleyrand a insérée en entier dans ses Mémoires, et qui se termine par cette déclaration, à laquelle on ne saurait reprocher assurément un défaut de modération et de sagesse : « Il faut, une fois le résultat principal obtenu, se contenter des arrangemens quelconques, étant praticables, pour assurer la continuation de la paix de l’Europe, » le tout appuyé par cette citation de La Fontaine :


Les plus accommodans seront les plus habiles ;
On hasarde de perdre en voulant trop gagner.


J’ai sous les yeux les correspondances les plus intimes du roi lui-même et de sa sœur, sa fidèle confidente, et les réponses également secrètes de Talleyrand, dont aucune n’a pu être distraite ni altérée, et il m’est impossible d’y trouver une seule ligne qui s’écarte de cette voie si prudemment tracée. Nulle part il n’y est question de chercher dans les événemens de Belgique une occasion de réparer les pertes subies en 1814 par un agrandissement territorial. — Et quant à Talleyrand lui-même, le reproche qu’on peut faire parfois à sa conduite, c’est d’avoir poussé à une limite extrême le sacrifice fait à la conviction où il était qu’on ne mènerait à bien le dénouement de la complication belge qu’à la condition de ne donner aucun sujet de plainte à l’Angleterre. C’est au point qu’il laisse entendre qu’on ferait bien d’abandonner, devant les réclamations du cabinet britannique, la conquête que nos armes venaient de faire sur le territoire africain. On voit là le trait de caractère qu’ont justement remarqué (je l’ai rappelé) ceux qui l’ont le mieux connu, et qui consistait à négliger l’accessoire, même important, pour ne se préoccuper que du but principal qu’il avait en vue.

Ouvrez maintenant la vie de Palmerston, racontée par un de ses fidèles serviteurs, sir Henry Bulwer, et lisez, dans ses correspondances avec son envoyé à Paris qui y sont insérées, le récit de ses relations et de ses entretiens avec Talleyrand, quelle différence ! On nous fait voir un Talleyrand agité, inquiet, aventureux