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j’ai rapporté. Qu’au même moment, on eût la nouvelle de quelque exigence intempestive du Congrès de Bruxelles, c’en était trop, et Sébastiani, ne sachant plus auquel entendre, tournait au désespoir. Il s’en prenait à tout le monde : aux doctrinaires (les amis de M. Guizot), qu’il accusait de l’avoir compromis, aux Anglais, aux Belges, et enfin, bien qu’à mots couverts, à Talleyrand lui-même, à qui il demandait s’il ne serait pas bientôt las du rôle de complaisant qu’on voulait faire jouer à la France : « Notre force est épuisée, lui écrivait-il, par la lutte que nous avons été obligés de soutenir pour empêcher la réunion de la Belgique à la France. Il fallait quelque courage pour s’y engager. Bruxelles est devenu l’égout de tous les hommes turbulens d’Europe. L’Angleterre ne répond pas à notre attente, notre franchise méritait une réciprocité dont il est permis de douter : nous nous accoutumons à croire que l’idée d’une rupture devient inévitable, et que le cabinet n’est pas éloigné de la désirer. Je m’en afflige plus pour l’Europe que pour la France[1]. »

Ce trouble trop visible prêtait un peu à rire aux spectateurs et surtout au corps diplomatique. « On l’accuse, écrivait à Talleyrand un de ses correspond ans, de vouloir mettre son pied à la fois dans les deux souliers. Du reste, ajoutait le même donneur de nouvelles, qui n’était pas le premier venu, je crois que tout le monde devient fou, car tout le monde croit maintenant à la guerre. Quand on demande contre qui, puisque personne ne vous attaque, on vous répond : C’est une nécessité qu’il faut subir. Et avec quoi ? Une guerre régulière, vous n’avez pas de quoi la solder, et une guerre de pillage vous amènera toute l’Europe comme en 1814. Bah ! dit-on, on pillera quelques semaines, mais on sera sur le Rhin et on y restera[2]. »

Ce fut dans cet état de trouble et de complication, tenant à la fois à la jalousie inquiète du secrétaire d’Etat anglais et à l’altitude indécise du ministre français, qu’on dut aborder une question délicate entre toutes : la désignation du roi qui serait donné à la monarchie qu’on allait créer. Même dans les relations privées, on sait que, dès qu’on touche aux personnes et qu’on prononce des noms propres, toutes les susceptibilités sont mises en éveil, et un choix à faire devient le sujet de querelles souvent inconciliables ; mais c’est le cas surtout quand il s’agit de personnes et

  1. Sébastiani à Talleyrand, 15 janvier 1831.
  2. Correspondance du duc de Dalberg avec Talleyrand, janvier 1831, passim.