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LES TRONÇONS DU GLAIVE.

Gustave, Du Breuil et sa femme, Frédéric et le marin. Il donna une pensée à la petite Rose, à Henri, sans oublier son fils et le forestier. Mais, si toute sa pitié s’élançait vers Marie couchée là-haut, mordant le drap dans un long sanglot, et vers l’orphelin, toute sa vénération saluait les morts pour la patrie.

Tout à l’heure, il avait été trop loin. Malgré la paix honteuse, des fins comme celles de Jean Réal et d’Eugène, comme celles de milliers et de milliers de Français, fauchés sur les champs de bataille de la Défense ou s’éteignant au lit des ambulances et des hôpitaux, une pareille moisson d’hommes, si elle était effroyable, n’avait pas été entièrement stérile. Elle proclamait bien haut que sur cette terre de France beaucoup savaient se dévouer encore. Ces armées qui au souffle de Gambetta s’étaient levées comme des tourbillons, elles avaient pu retomber, elles n’en avaient pas moins attesté, à Coulmiers, à Loigny, à Josnes, à Bapaume, à Vilersexel, la vitalité, les ressources prodigieuses du pays. Après Sedan, après Metz, elles avaient sauvé l’honneur.

Avec une fierté de citoyen, il reportait à celui qui les avait créées une partie de l’hommage. Un jour viendrait où la nation, parce qu’aux jours des pires désastres il n’avait pas désespéré d’elle, lui serait reconnaissante ; l’ennemi ne serait plus seul à lui rendre justice. Mais peut-être était-ce fatal ? Les choses humaines voulaient que rarement celui qui s’était sacrifié en recueillît le fruit ; il semait, d’autres récoltaient. L’exemple que Gambetta avait jeté, grain perdu dans un champ pierreux, Poncet, ardemment, souhaita qu’il fécondât l’avenir.

Autour de lui, autour d’eux, le tiède soleil de mars rayonnait. Tant de splendeur flottait dans la douceur de l’air subtil que Charmont parut sourire. Au loin, la Loire tranquille étincelait. À côté des ceps noueux, les vignerons courbés plantaient les jeunes vignes. Dans la terre molle et brune, sillonnée de labours, dans les arbres frémissans de l’éveil de la sève, le printemps venait. Et là-haut, dans la chambre nuptiale et mortuaire, aux flancs maternels sommeillait le petit être en qui mystérieusement s’élaboraient, comme en cette terre renaissante, la vie éternelle, l’espoir de demain.

Paul et Victor Margueritte.