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Le baron Pasquier concluait que la question ne pouvait être posée dans le budget, mais seulement sous forme d’une proposition de loi séparée, soumise aux règles ordinaires de toute loi ; M. de Bourrienne lui répliqua en défendant le projet de la Commission, et le comte Beugnot, ministre d’Etat, vint lui répondre, insistant sur les dangers de la confusion de pouvoirs, de l’usurpation résultant des entreprises de la Commission au mépris du droit d’initiative appartenant au roi seul. Mais les raisons les plus fortes contre la Commission furent portées à la tribune par Royer-Collard. L’intrépide libéral, dont rien ne fit jamais fléchir les convictions ni reculer la pensée, qui ne craignait pas de proclamer « magnanime » l’âme de Danton, qui défendit si courageusement la liberté de la presse et de la pensée, prit hautement parti, dans cette circonstance, pour le gouvernement contre la Chambre. Examinant non seulement les textes constitutionnels, mais la nature des choses, il soutint que l’initiative des lois est une fonction essentielle du pouvoir exécutif, et non de la puissance législative qui ne peut être mise en activité, dans le système de la séparation des pouvoirs, que par l’intervention formelle et nécessaire du roi. Lorsqu’une Chambre revendique le droit de s’élever au-dessus des lois, « d’anéantir celles qui lui feraient obstacle, » ce « pouvoir monstrueux » qu’elle s’arroge ainsi, cette « violence faite aux lois, » constituent proprement ce qu’on appelle la tyrannie… « L’expérience a prouvé qu’elle ne serait nulle part plus redoutable et plus funeste que dans le corps qui semble plus spécialement chargé de la défense des intérêts populaires… Ah ! messieurs, qui l’eût dit que, dès la première session de la première Chambre formée en exécution de la Charte, avec toutes les garanties que l’expérience avait indiquées, et dans des circonstances qui n’y ont appelé que les partisans les plus déclarés de la monarchie légitime, on verrait la prérogative du monarque envahie de nouveau et les Commissions de la Chambre exercer à cette tribune la fonction royale de l’initiative ?… Je m’arrête ici ; je cède au découragement qui s’empare de moi, et je déplore cette fatalité qui nous repousse sans cesse vers les bords de l’abîme dont nous sortons à peine. »

De violens murmures interrompirent plusieurs fois Royer-Collard dans son audacieux langage, les assemblées supportant plus malaisément encore que les princes l’expression des opinions