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avant tout, le drame chinois qui a fait une concurrence désastreuse à l’Exposition. Elle ouvrait à peine quand l’attention de l’univers civilisé fut brusquement sollicitée par l’Extrême-Orient. Les convulsions de la Chine et les complications menaçantes qu’elles présageaient offraient un bien autre intérêt que les attractions du Champ-de-Mars. Nous ressentions nous-mêmes quelque embarras à continuer nos réjouissances et nos banquets durant ces semaines d’angoisse. La presse des grandes capitales nous négligeait, les nouvelles de Pékin y rejetaient à l’arrière-plan la description des merveilles parisiennes. Les souverains et leurs conseillers trouvaient dans ces conjonctures critiques une excellente raison, — ou un excellent prétexte, — pour ne pas se déplacer. L’auberge royale du dentiste ne reçut que l’inévitable Schah, deux princes nègres, et l’ingrat Yukantor.

Par surcroît de malheur, la débutante avait manqué son entrée. Ici, et ici seulement, nous sommes bien forcés de faire intervenir la politique. Cette brouillonne ne peut pas grand’chose pour le succès d’une exposition ; mais elle peut l’enrayer par une fausse manœuvre. Les calculs de la politique exigeaient, paraît-il, qu’on inaugurât un tas de moellons six semaines avant que les premières vitrines fussent garnies. On affirma contre l’évidence que tout était prêt dans le néant de ces galeries vides. Outrageusement trompés, les premiers visiteurs de la province et de l’étranger ne se firent pas faute de colporter leur déception ; de là, chez les provinciaux et les étrangers, une méfiance qui a persisté longtemps après la période où elle était justifiée.

Jusqu’aux premiers jours du mois d’août, on put craindre un désastre financier. Les entrées quotidiennes n’atteignaient pas le tiers des évaluations sur lesquelles on avait tablé. Dans l’enceinte et dans Paris, les mêmes lamentations retentissaient chez tous les industriels qui s’étaient outillés pour loger, nourrir, transporter, amuser, et plumer l’univers. Les organisateurs éperdus ne cachaient plus leurs transes. Fort heureusement, les vacances amenèrent enfin ces foules que sœur Anne guettait vainement du haut de la Tour. Le flot des visiteurs grossit soudainement et ne diminua plus. On connut les journées triomphales, les dimanches de grand écrasement, l’ivresse des six cent mille entrées. Les relevés totaux nous renseigneront dans quelques jours sur les résultats définitifs ; nous saurons alors de combien ils restent au-dessous des prévisions. Cette (différence n’aura rien d’alarmant,