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la chose est aujourd’hui certaine ; l’honneur, — puisqu’on veut introduire ce mot là où il n’a que faire, — l’honneur est sauf.

En dehors des fatalités extérieures dont l’Exposition n’est pas responsable, à quelles causes intrinsèques faut-il rapporter les déceptions des premiers mois ? — Tout d’abord, croyons-nous, à l’absence du « clou » longtemps cherché, et qu’on n’a pas découvert. Il y avait en vingt endroits des trouvailles ingénieuses, amusantes, qui auraient dû suffire amplement à captiver et à retenir la curiosité des foules. C’était trop et pas assez. L’expérience prouve qu’en toutes choses, les foules modernes ne sont irrésistiblement attirées que par le « clou » unique. Lorsqu’elles le rencontrent et l’adoptent, tout le reste est superfétation. — L’Exposition de 1889 avait trouvé son « clou » gigantesque, la Tour. Scandaleuse pour les esthéticiens, maudite par les gens de goût, raillée par tous, la Tour laissait dire, sûre de son pouvoir. Elle fut au pied de la lettre la montagne d’aimant des Mille et une Nuits, qui attirait les navires hors de leur route. Elle ébranla les imaginations jusqu’aux antipodes : des millions de pèlerins vinrent à elle comme à la Kaâba de La Mecque. Rappelez-vous l’hypnotisation universelle sur l’horrible merveille, et comme on la retrouvait partout, en gravure, en relief, sur cent objets usuels, au Japon, au Chili, jusque dans les couvens de l’Athos ! Elle faisait l’entretien des bonnes gens dans chaque chaumière où pendait son image, et ceux-là se désolaient qui n’avaient pas pu réunir les écus nécessaires pour aller voir la Tour. Pauvre Tour ! Aux soirs où tant d’autres monstres se couronnent de feux dans la ménagerie du Champ-de-Mars, c’est pourtant elle encore qui met sur ce chaos confus une grâce légère, dans sa longue robe de lumière, avec ses chapelets d’étoiles qui vont se rattacher aux constellations. Mais, après onze ans, la vertu de la magicienne est épuisée. Tout le monde l’a vue. Et, si l’on a fait aussi laid en d’autres genres, on n’a rien su faire d’aussi puissant pour nous amener les peuples ahuris.

La faillite du plaisir a dû compter pour une large part dans les déconvenues du public et de ses exploiteurs. Sur cent personnes qui vont à la « Fête du travail, » il y en a peut-être vingt qui s’y rendent pour s’instruire et quatre-vingts pour s’amuser. Ce n’est pas auguste, mais c’est ainsi. Les rédacteurs des harangues civiques feignent de l’ignorer ; ils sont trop bons connaisseurs de la nature humaine pour ne pas savoir qu’une