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Exposition fructueuse peut être synthétisée dans cette image : une machine savante que l’on regarde peu, encadrée dans les corps du ballet que l’on regarde beaucoup. La question du plaisir s’est donc posée, sérieuse et délicate. Lâcherait-on la bride au génie des professionnels ? Ces gens experts et déterminés répondaient du succès, pourvu qu’on leur donnât liberté de jouer toutes leurs cartes, y compris celles qu’on vend sous le manteau. Ils laissaient entendre que les joies accumulées dans leur rue de Paris et dans ses annexes passeraient les imaginations réunies d’un Pétrone et d’un Héliogabale. Ils disaient avec quelque raison que plus on le laisserait entendre, plus la foule s’écraserait aux portes. Leurs promesses effrayèrent l’honnête timidité des organisateurs. Ceux-ci voulaient une rue de Paris profitable et décente. Rêve ingénu ! Ils ont le louable désir d’élever la démocratie, et ce résultat ne s’obtient qu’en faisant baisser la recette. La vertu de Caton refréna l’expérience commerciale de Bordenave, mais elle ne fut pas récompensée.

Il serait cruel d’insister sur le lugubre fiasco du plaisir dans la rue de Paris. On y venait chercher Sodome et Gomorrhe, on n’y trouvait que la Mer-Morte. Toutes les enseignes promettaient le rire, la gaieté, les chansons joyeuses ; et c’était la sainte Pitié qui étreignait les cœurs, à la vue de ces troupes foraines consternées : pierrots tragiques de désespoir sous le masque de céruse, chanteuses légères à la voix étranglée par un sanglot de détresse, visages transis de misère, où la grimace du rire s’achevait dans un bâillement d’ennui. Bon nombre de ces industriels ne doivent s’en prendre de leur malheur qu’à eux-mêmes : ils avaient coté trop bas la bêtise de la foule ; elle a regimbé contre la qualité des divertissemens qu’ils lui offraient. C’est là un des symptômes d’une infatuation « bien parisienne ; » elle sévit sur de tout autres sires que les forains. — Tout est assez bon pour les étrangers, pensent-ils, du moment qu’on leur montre un acteur de Paris ; ce mot cabalistique opère à lui tout seul. — Nos théâtres n’exhibèrent aux cosmopolites que les reprises fanées de leur répertoire. Les Grecs devaient en user ainsi avec les Barbares. On risque à ce jeu la réputation de notre art dramatique et le prestige même de l’esprit de Montmartre.

Des gens chagrins ayant dit que l’Exposition leur était en dormant un peu triste apparue, on s’avisa que les grandes fêtes populaires l’égayaient trop rarement. Le joyeux boute-en-train