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LES TRONÇONS DU GLAIVE.

intelligence des autres. Avec eux il laissait derrière lui ce que le siège lui avait révélé de meilleur, la douceur de l’affection, la sécurité de l’amitié.

À son rang, il marchait, entre le chapelier et Thérould. Celui-ci, d’une gaieté fébrile, ne tarissait pas en plaisanteries acerbes. Pas un des membres du Gouvernement qui y échappât ; il critiquait jusqu’à la sortie. Mais comme le chapelier était gras ! Cet homme paterne expliqua qu’il s’était quelque peu cuirassé de couvertures. La bravoure n’excluait pas la prudence. Le régiment rassemblé, Martial poursuivait joyeusement la marche, scandait le pas. Souvent on s’arrêtait pour laisser défiler d’autres régimens de garde nationale mobilisée. À tous les visages, il croyait surprendre la même expression vaillante et recueillie ; on était loin de la forfanterie des premiers jours ! Ainsi, malgré les généraux, une troupe jeune, capable de sacrifice et d’élan, s’était formée. Il eut espoir.

Mais un encombrement prodigieux les immobilisait aux environs du pont de Neuilly. Trente régimens de gardes nationaux s’amassaient pêle-mêle. La fin du jour, les heures pluvieuses de la nuit se perdirent à attendre là qu’on dît où aller, à qui se joindre. Pas un officier d’état-major pour désigner à chaque régiment la colonne dont il devait faire partie. Dans les ténèbres, ces cohues tournoyaient sur elles-mêmes, tassées par de nouveaux afflux ; il fallait camper là, dans une épouvantable confusion. Cependant, à l’aube, se pressant aux ponts d’Asnières et de Neuilly, les trois colonnes d’attaque, aux ordres de Vinoy, de Bellemare, et de Ducrot, essayaient en vain de se constituer. Chacune d’elles, improvisée avec des élémens de ligne et de mobiles, pris au hasard de côté et d’autre, s’adjoignait tant bien que mal sur place les régimens de gardes nationaux, fatigués de la nuit. S’étouffant sur les tabliers étroits, sur les routes avoisinantes, chaque colonne tentait alors d’avancer, amalgame hétéroclite où se confondaient toutes les armes mélangées, une salade de fantassins, de cavaliers, d’artillerie, de génie, d’ambulances et de voitures de vivres. Trochu, qui s’était réservé la direction, devait faire donner le signal, dès son arrivée au Mont-Valérien. Mais, le Gouverneur ne paraissant pas, les trois coups de canon accompagnés de fusées n’étaient tirés qu’à sept heures. Trop tôt encore. Tels avaient été les préparatifs, la conduite de l’opération, que les têtes de colonnes de Vinoy et de Bellemare débouchaient