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viride, lorsque, à nouveau, coïncidence décidément, une voix, mais roucoulante, mais mutine, celle-ci, m’interpella de côté : « Un cigarillo, señor. » Accompagnant un sourire, un porte-cigarettes s’offrait sur la main tendue, l’exquise petite paume blanche de mon Murillo.

Et avec ce Murillo, avec tous les autres Murillos qui sont le groupe joyeux de ses compagnes, avec mes déjà chers amis M… et F…, avec quelques Colombiens de distinction parmi lesquels je dois le meilleur souvenir au docteur Ynsignares, ministre de l’Instruction publique, c’est plaisir, en vérité, que de se familiariser un peu avec les idiotismes et les délicatesses de l’espagnol dont je n’ai guère emporté que les bribes de manuel indispensables au vivre et au camper. Mais qu’il est souple et riche, et profond, surtout comme langue d’aveu et de désir, cet idiome dans lequel ont parlé Charles-Quint et Vélasquez ! Il est bien approprié à ceux qui divinisèrent dans la Vierge le culte terrestre, un peu idolâtrique de la femme. Il fourmille d’expressions jolies qu’on ne peut murmurer, ce semble, qu’une main sur le cœur et un genou en terre. À celle dont vos doigts, ardemment, ont pressé les doigts, dont les yeux ont quêté les vôtres, vous acquiescerez de cette caressante phrase : « Si, su merced. » Oh ! cela n’est guère traduisible en français. Cela veut dire : « Oui, votre Grâce » et « Oui, votre Merci. » Su merced, cela reconnaît la toute-puissance, la souveraineté du charme en celle qu’on a élue ; cela dit la remise entière, l’abandon de la destinée entre les petites mains douces, sous le regard adoré. Et, peut-être à son tour frôlera-t-il votre oreille, le mot tendre entre tous : « Mi amo ! » qui signifie : « Mon maître, » autant que : « Mon ami ! »

Et pourtant, avec cela, je ne sais quoi de digne et de réservé, même dans l’intime liaison, même dans la parenté. C’est une impression difficile à définir, mais faite d’une certaine grandeur héréditaire d’une charmante noblesse, à entendre cette jeune fille saluer sa mère : Señora, Madame ; un peu comme, au siècle dernier, le comte de Chateaubriand disait à son fils : Monsieur le chevalier…

En revanche, une conscience, chez l’enfant, de ses droits et de ses fiertés naturelles, de son rang, auquel il tient et se tient, sortes de fueros familiaux parallèles à ceux de la cité. On me rapportait ce mot d’Arboleda, le grand orateur et littérateur colombien. Il avait pour mère une duègne âpre, autoritaire ; et un