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suffisait pour rappeler la passion qu’il avait déployée autrefois en faveur d’un système dont le triomphe aurait attiré de véritables désastres sur le pays. C’est le passé sans doute, mais ce passé est d’hier, et il était dangereux de l’évoquer. On peut douter, en outre, que l’appui donné, à New-York, par M. Croker à M. Bryan ait été bien utile à ce dernier. Qui sait s’il ne lui a pas été nuisible ? Quoi qu’il en soit, M. Bryan a été battu, et ce n’est pas sans quelque mélancolie qu’il s’est vu obligé d’envoyer pour la seconde fois ses félicitations à son concurrent heureux : il s’est d’ailleurs exécuté très galamment.

La plate-forme électorale adoptée, cette fois, par les deux partis n’était autre que cette question de l’impérialisme qui est posée dans un certain nombre de pays, aussi bien d’un côté de l’Océan que de l’autre, mais à laquelle les derniers événemens ont donné aux États-Unis une acuité particulière. Ce qu’on connaît du caractère personnel de M. Mac Kinley n’a rien de belliqueux : pourtant sa présidence a été toute guerrière. Laforce de la situation a été la plus grande. M. Mac Kinley est devenu conquérant, bon gré mal gré, et il a engagé son pays dans une politique toute nouvelle, très propre assurément à flatter quelques-uns de ses instincts les plus profonds, mais aussi à lui imposer des charges infiniment supérieures à toutes celles qu’il a eu à supporter jusqu’ici. La guerre entre les États-Unis et l’Espagne a tourné au détriment de celle-ci. Les Antilles et les Philippines ont été perdues pour elle, et ont été acquises aux États-Unis. Le sentiment national américain en a été touché fortement, et rien n’est plus naturel. En quelques semaines l’impérialisme, d’abord un peu hésitant et timide, a fait de tels progrès qu’il a paru s’emparer de la nation tout entière. Toutefois il n’y a pas de mouvement, quelque emporté soit-il, qu’une certaine réaction ne suive bientôt ; et c’est ce qui est arrivé en Amérique. Les plus heureuses victoires ont des lendemains qui ne vont pas sans quelques désillusions. Il y en a eu aux États-Unis, même pour Cuba et Porto-Rico, à plus forte raison pour les Philippines. Dans ces dernières îles, la guerre dure encore, et ne paraît pas près de finir. Elle coûte très cher ; elle coûtera probablement davantage encore ; et le succès final, qui viendra Dieu sait quand ! ne couvrira pas les frais de l’opération. Voilà du moins ce que dit l’opposition contre l’impérialisme de M. Mac Kinley, et c’est sur ce point qu’il a été attaqué par le parti démocrate et par M. Bryan avec la plus grande énergie. Non pas que le parti démocrate se soit donné comme résolument anti-impérialiste ; de même que le parti républicain s’est bien gardé de se dire impérialiste à outrance. Tous