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une fois de plus, demeurât épouvanté devant la frénésie de révolte dont cette femme, aux manières si douces, si égales, était capable, devant les tempêtes dans le silence que dissimulait le calme de ce visage. Ce jour-là, était née en lui une appréhension extrêmement douloureuse, et qu’il avait en vain combattue. Il s’était dit qu’une heure viendrait où, mariée ainsi, avec la sensibilité brûlante que ces éclats révélaient, elle rencontrerait un homme dont elle s’éprendrait, et quelle influence arrêterait alors cette âme effrénée ?… Il avait voulu voir dans la naissance d’Éveline, survenue peu de temps après ce cruel entretien, un gage d’apaisement pour la jeune mère, de quoi la maintenir dans cette voie d’honnêteté, d’où il lui aurait été si dur de la voir sortir. De cet instant datait sa tendresse pour cette enfant. Il aurait dû la haïr comme la vivante preuve d’une union dont la seule idée l’avait tant supplicié, le suppliciait encore. Mais, quand il s’était penché sur le berceau où dormait cette pauvre petite chair issue de celle de son amie, un seul sentiment avait dominé en lui, une reconnaissance infinie envers la nouvelle venue, pour le bienfait moral qu’elle serait, qu’elle était déjà à l’autre…

Seconde étape : Éveline avait commencé de grandir, et, avec elle, dans le cœur de l’amoureux sans espoir, presque sans désirs, mais non sans jalousie, avait grandi aussi cette gratitude éprouvée devant son berceau. Et c’était bien vrai, que la jolie enfant semblait avoir tout calmé des secrètes révoltes de sa mère. Ces premières années qui avaient suivi sa naissance, et durant lesquelles il l’avait vue croître comme une tendre fleur, faisaient une oasis dans les souvenirs de d’Andiguier. Ç’avait été, dans cette ascension d’amour, le moelleux plateau de gazon où les pieds se reposent, où la poitrine respire à l’aise. Et l’on eût dit qu’Antoinette avait voulu que cette période se développât sans un heurt, sans un nuage. Évidemment, elle avait deviné que d’Andiguier souffrait un peu de ses relations sans cesse grandissantes, et qui, une fois son deuil fini, étaient devenues ce que son mari désirait qu’elles fussent, celles d’une femme riche et très entourée, — et elle avait eu, pour endormir ces susceptibilités d’une amitié qui lui était chère, d’infinies délicatesses, affectant de réserver au vieux collègue de son père une place bien à part dans son intimité, rentrant pour lui seul à de certaines heures, ne l’invitant qu’avec des gens qui lui convenaient, ne le sacri-