Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/519

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
515
LE FANTÔME.

eût été sensuelle, si un pli de réflexion ne l’eût comme serrée. Il était d’un châtain fauve et tirant sur le roux, avec des yeux bruns qui se détachaient parfois comme deux taches sombres sur son teint clair, — des yeux volontiers immobiles, et dont le regard procura aussitôt à d’Andiguier une sensation assez complexe pour qu’il ne sût pas si c’était de l’attrait ou de l’aversion, le prélude d’une sympathie profonde ou d’une antipathie décidée.

— Comment le trouvez-vous ? avait demandé Éveline vivement, quand ils avaient été seuls.

— Et moi, comment me trouve-t-il ? avait-il répliqué malicieusement.

— Il sait combien je vous aime, avait répondu la jeune fille, et il vous aime déjà…

Cette gentille repartie d’une enfant, qui montrait ainsi ingénument son besoin d’une harmonie de cœur entre ceux qu’elle chérissait à des titres divers, mais si profondément, n’avait pas abusé le vieillard. Il avait senti, par cette double vue du cœur, si aiguë chez les solitaires, que Malclerc éprouvait à son égard, lui aussi, une impression très indéfinissable. Il avait revu le jeune homme et de nouveau il lui avait semblé qu’ils s’attiraient à la fois et se repoussaient l’un l’autre. Ce n’avaient été que des nuances, car la date toute récente de leur présentation réciproque ne comportait que des rapports très courtois et très conventionnels. Le mariage avait eu lieu sans que ni l’un ni l’autre eût triomphé de cette sorte de difficulté à causer ensemble d’une conversation un peu intime et vraie. D’Andiguier l’avait expliquée, cette difficulté, par sa propre sauvagerie et par la différence de leurs âges. Puis les deux époux étaient partis pour le pays de Malclerc et pour l’Italie. Il avait commencé de trouver que les lettres d’Éveline prenaient un ton moins ouvert, qu’elles s’écourtaient, qu’elles trahissaient une contrainte. Il avait attribué encore ce petit changement à sa propre faute. Sans doute il avait trop abusé dans sa correspondance des droits de familiarité que lui donnaient ses relations anciennes, et Malclerc s’en était susceptibilisé. Le retour de la jeune femme ne lui avait plus permis de se contenter de cette hypothèse. Elle était rentrée de ce voyage, amaigrie, pâlie, avec une expression qui lui avait bien douloureusement rappelé celle de sa mère, à la même époque autrefois. Il avait essayé de l’interroger, avec autant de ménagement qu’une affection comme la sienne pouvait en mettre à