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tête. » Le Fils du Ciel laissait des subalternes s’engager et ne s’engageait pas. Il en fut ainsi même après la prise de Canton et toutes les mesures furent si bien prises qu’aucun commissaire impérial ne figura dans l’acte diplomatique du 25 mai, aux termes duquel les Chinois payèrent six millions de piastres aux Anglais ; mais les Anglais durent éloigner de la ville leurs troupes et leurs navires de guerre. L’Empereur, battu, mais triomphant et d’ailleurs probablement battu sans le savoir[1], fit élever dans les rues de Canton six arcs de triomphe en granit, couverts d’inscriptions, afin de perpétuer le souvenir de cette prétendue victoire diplomatique. Le général Yischen entretint soigneusement le Fils du Ciel dans son erreur ; d’après ses rapports, les Chinois ne cédaient jamais, mais feignaient de céder et n’attendaient qu’une occasion de faire tout rentrer dans l’ordre accoutumé.

Les préliminaires de la paix de 1860 sont encore plus instructifs. Les ministres de France et d’Angleterre, MM. de Bourboulon et Bruce, devaient échanger à Pékin dans le délai d’un an les ratifications du traité conclu à Tien-Tsin le 27 juin 1858[2]. Ils se présentèrent donc le 20 juin 1859 à l’embouchure du Peï-ho : une garnison nombreuse occupait les forts de Takou et l’entrée du fleuve était barrée. L’escadre anglaise et le bâtiment français le Duchayla attaquèrent inutilement les forts et tentèrent sans succès un débarquement : les alliés furent obligés de se retirer après avoir subi des pertes sensibles. La cour de Pékin crut, pendant quelques jours, avoir détruit la puissance militaire des deux nations occidentales et lança le mémorable édit du 5 juillet 1859 qui dénonce la « révolte ouverte » des « barbares anglais » avec lesquels les « barbares français » ont fait cause commune, insiste sur l’énormité d’un tel crime « pour lequel la mort même ne serait pas une peine suffisante, » et menace ces rebelles de les anéantir jusqu’au dernier « s’ils reproduisent encore des demandes qu’ils n’ont pas droit de présenter. » On ne demandait pourtant à la Chine que la ratification d’une convention conclue de la façon la plus régulière et sur laquelle les plénipotentiaires des puissances avaient apposé leurs cachets. Les ministres de France et d’Angleterre retournèrent à Changhaï.

Le Fils du Ciel comprit alors qu’il était allé trop vite et qu’il

  1. « Il ne sut rien de la défaite de ses troupes tartares. » (3e lettre de M. Ad. Barrot.)
  2. Art. 42 du traité.