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sa bienfaitrice ; de l’autre, l’ambition insatiable du ministre réunissant dans ses mains toutes les parties du gouvernement, brisant toutes les forces indépendantes qui pouvaient mettre obstacle à cette concentration de pouvoirs et s’acheminant par degrés jusqu’au trône ou tout au moins jusqu’à un démembrement de la monarchie. Mais il était impossible de réduire la carrière de Richelieu à cette œuvre progressive et ténébreuse d’usurpation, impossible de faire abstraction du rôle qu’il faisait jouer à la France en Europe. Malheureusement, sur ce point, Chanteloube se montre aussi peu explicite, aussi insuffisant que Mathieu de Morgues. Ce n’est pas que son passé lui offrît, comme à celui-ci, des souvenirs embarrassans, mais la tâche de présenter et de justifier la politique de la reine mère en opposition avec celle du cardinal était probablement au-dessus de ses forces. Dans la Lettre de la reine mère à MM. du parlement[1], écrite de Bruxelles le 6 janvier 1632 et qui est de lui, la critique de cette dernière politique est en réalité éludée, tant elle est touchée d’une façon sommaire et inexacte, et l’exposé de celle de la reine mère n’est pas plus satisfaisant, car elle est réduite à l’union des deux couronnes, sans qu’on nous dise jusqu’où cette union doit aller, comment elle peut rester compatible avec l’intérêt et la dignité du pays.

Mais, si l’on ne trouve pas dans ce manifeste de Chanteloube ce que nous aurions aimé surtout à y trouver, le rapprochement instructif, encore que passionné, de deux politiques, le gros public, lui, y trouvait quelque chose qui devait lui faire une plus grande impression, l’éloge de la paix, — d’autant plus opportun et plus goûté qu’on redoutait, en cette année 1632, une rupture avec la maison d’Autriche, — l’évocation de l’image populaire de Henri IV sortant du tombeau pour recommander à son fils et à l’auguste sénat qu’il considérait comme une colonne de l’Etat cette paix, objet de sa dernière et plus chère pensée, de celle que la reine, confidente de ses desseins, avait recueillie si souvent de sa bouche et à laquelle elle avait été fidèle, les alliances de famille qui l’avaient cimentée, et le bonheur du peuple qui devait en être le fruit. Ce public-là fut certainement sensible à ces banalités et il ne se demanda pas si elles ne prêtaient pas au grand roi des sentimens différens des siens. Peut-être même ne se montra-t-il pas trop incrédule à l’accusation qui lui représentait Richelieu

  1. Pièces curieuses en suite de celles du seigneur de Saint-Germain.