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L’avidité de ce public pour de pareils écrits n’implique pas d’ailleurs sa foi dans leur véracité. Satirique et clandestine, cette littérature avait le double attrait de flatter la malignité publique et le goût du fruit défendu, et c’est assez pour expliquer son succès. Il reste donc à savoir si ses nombreux lecteurs se représentaient Richelieu sous les traits qu’elle lui donnait. Le personnage qu’on leur dépeignait était un gentilhomme de petite noblesse, en dépit des généalogies complaisantes qui le faisaient descendre de Louis le Gros ; s’étant montré, par l’acceptation sous bénéfice d’inventaire de la succession paternelle, moins soucieux de la mémoire de son père que de la solidarité de ses dettes ; évoque avant l’âge canonique grâce à la fourberie avec laquelle il avait joué le Pape ; ayant déconsidéré sa jeunesse par son incontinence ; ministre sans scrupule du gouvernement arbitraire du maréchal d’Ancre ; trahissant sa maîtresse, Marie de Médicis, pour un chapeau de cardinal ; excitant l’ambition de Monsieur et la dénonçant au roi de façon à créer entre les deux frères des méfiances dont il profitera ; persécutant avec acharnement la reine mère, à qui il doit tout ; se débarrassant, par un simulacre de justice ou par le crime, de tous ceux qui gênent ses vues ambitieuses ou qu’il a rendus dépositaires de secrets compromettans ; faisant succéder à l’âge d’or de la régence, qui a fait bénir le nom de Marie de Médicis, une guerre injuste et funeste, entreprise, avec l’alliance des hérétiques, contre nos voisins, le duc de Savoie, le roi d’Espagne, l’Empereur et qui inflige à l’Église et à l’humanité des maux lamentables ; réduisant le peuple par sa fiscalité à vivre d’herbe et de racines ; abolissant les charges de connétable et d’amiral, pour les rétablir, sous d’autres titres, à son profit ; se faisant donner des gouvernemens qui mettent dans ses mains une province maritime comme la Bretagne, le cours de la Seine du Pont-de-l’Arche au Havre, les salines de l’Aunis par Brouage ; puisant librement dans l’épargne ; s’entourant d’une maison militaire ; maître par lui-même ou par ses créatures de tous les grands services publics et des clefs du royaume, et se préparant à en déposséder le roi ou au moins à s’y cantonner contre lui.

Ces imputations reproduisaient, en les fortifiant de l’autorité de la lettre moulée, des bruits populaires, dont quelques-uns se retrouvent dans les propos d’une partie des honnêtes gens de la cour et de Paris au lendemain de la mort de Richelieu, tels que