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l’horrible cauchemar, le sursaut de ce réveil imprévu n’en peuvent mesurer l’intense émotion.

Nos âmes s’y livraient avec une sorte d’orgueil, durant cette humiliante station au bureau de la place de Mayence, et, à défaut de confiance dans la victoire désormais impossible, l’espoir du moins surgissait en nous, des relèvemens futurs. Nous préludions ainsi aux entretiens de la captivité qui devaient marquer notre vie d’une si durable empreinte. Un petit livre en garde la trace, que liront encore avec fruit ceux qu’attire le côté philosophique de l’histoire : l’Armée française à Metz, par le capitaine de La Tour du Pin, composé pendant ces mois douloureux, publié dès l’été de 1871, et qui montre en de fortes pages quels horizons découvrait à nos esprits la cruelle, mais sincère méditation de notre infortune.

Ainsi que le général de Clérembault, le général de Ladmirault fut interné à Aix-la-Chapelle. Là, introduit par mon ami, je fus admis dans son intimité, et je reconnus, dans l’homme, le chef que j’avais admiré sur les champs de bataille. La vulgarité du cadre où l’enfermait avec nous l’égalité du malheur commun ne l’amoindrissait pas, et, comme le juste d’Horace, les ruines l’avaient frappé sans qu’il en parût troublé ; non qu’il ne fût durement meurtri d’une chute si profonde, mais parce que, chez ce vieux soldat d’Afrique et d’Italie, l’habitude de se gouverner lui-même était devenue comme sa propre nature.

Dans l’inaction forcée de cette vie stérile et diminuée, il conservait la calme sérénité qui m’avait tant frappé à Rezonville et à Saint-Privat, dans la joie du succès espéré et dans l’accablement de la défaite inévitable. Son visage reflétait son âme ; jamais physionomie ne répondit mieux au caractère. Ce n’était pas un imaginatif, ni un passionné, et nul n’était moins compliqué. C’était un simple et un modeste, un résolu et un soumis. En toute circonstance, il voyait promptement son devoir, parce qu’il le cherchait par la voie droite ; il l’accomplissait jusqu’au bout, l’entreprenant sans arrière-pensée, et, comme il n’attendait rien au-delà, il obéissait sans hésitation, sinon sans effort, aux hommes, quand ils avaient autorité sur lui, aux événemens, quand ils étaient plus forts que sa volonté : hier, à Bazaine, à la capitulation elle-même, malgré la secrète protestation de sa conscience.

De là, une extrême répugnance aux récriminations inutiles comme aux vaines discussions, et ce ne fut pas le moindre exemple