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qu’il offrit aux captifs d’Aix-la-Chapelle ramenés, sans cesse, dans l’oisiveté des longues journées, au souvenir amer de l’irréparable passé.

Il leur donna d’autres leçons. La défaite et la captivité traînaient un cortège de misères. Autour des officiers français, rôdaient les dangereuses intrigues et les coupables tentations ; des adresses circulaient, dont on ignorait les auteurs, destinées, en vue du lendemain et de ses chances incertaines, à porter au souverain, frappé d’une double déchéance, des promesses de fidélité ; des ripostes indignées paraissaient aussitôt, exprimant au Gouvernement de la défense nationale, à Gambetta lui-même, une impuissante adhésion : les journaux belges accueillaient ces germes de discorde. Le général de Ladmirault, malgré son rang de commandant en chef, n’était pas allé au château de Wilhelmshöhe, où Napoléon III, captif, avait reçu la visite, autorisée par le roi de Prusse, des maréchaux prisonniers. Il avait compris que la politique dénaturerait bientôt ces démarches de convenance, et, tout à son deuil, le cœur encore soulevé des obscures négociations où Bazaine avait compromis l’armée de Metz avant de la livrer, comme il n’était la veille que soldat, il n’avait voulu, le lendemain, être que prisonnier de guerre. Désormais, les yeux tournés vers la France, il ne vit qu’elle et repoussa toutes les sollicitations, car il jugeait que, dépouillés de leurs armes, inutiles à la patrie, les vaincus n’avaient pour leur dignité d’autre refuge que le silence.

Inutiles à la patrie ! hélas, ce fut notre plus cruelle torture, pendant ces quatre mois, où, chaque jour, en nous apportant les nouvelles des combats désespérés, ranimait à la fois la colère et la douleur. Quelques-uns ne purent l’endurer, et, se croyant, par le péril national, affranchis de la parole donnée envers un ennemi qui cependant la respectait, ils s’évadèrent des villes ouvertes où les gardaient seules les lois de la guerre. Notre malheur en fut lourdement aggravé, et par la cruauté d’un tel désaccord parmi des compagnons d’armes, et par les mesures de rigueur ou d’injurieuse méfiance que le vainqueur se crut, dès lors, en droit de nous infliger. Le général de Ladmirault était le plus élevé en grade des officiers internés à Aix-la-Chapelle : dans la rupture des liens hiérarchiques, son autorité morale subsistait, car il personnifiait l’honneur, la loyauté et la discipline. Il blâma sévèrement les évasions et son attitude fut un frein pour