Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/618

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des noms, sacrés hier, ceux d’un Hobrecht ou d’un Ockeghem, qui ne parurent barbares ; à peine demeurait-on sensible à la douceur d’un seul, italien, celui de Palestrina.

Entre les élémens de la musique reparaît alors l’antique hiérarchie : d’abord le mot, le rythme ensuite, et enfin le son. Il arrive à certains théoriciens de l’époque de définir la musique par les deux premiers termes seulement : « l’art de donner le rythme, la valeur du temps au mot, » sans tenir compte du dernier. « Autant, écrit Bardi, l’esprit est supérieur au corps, autant la parole est au-dessus du contrepoint. Il est ridicule que le maître marche derrière le serviteur, que l’enfant se mêle d’instruire son précepteur ou son père. » Ne pas gâter le vers, non gnastare il verso, voilà le principe et l’objet unique de l’art. Indifférente au texte, quand elle n’y était pas hostile, la polyphonie vocale avait fini, pour ainsi dire, par mettre la musique en paroles ; le temps est venu de rétablir l’ordre et de mettre, ou de remettre, les paroles en musique[1].

Quel sera le style, imité de l’ancien, convenable et nécessaire à cette opération ? Péri, dans la préface de son Euridice, et Caccini, dans celle de ses Nuove Musiche, ne l’ont pas seulement défini, mais analysé.

« Ayant considéré, dit Péri, qu’il s’agissait d’une œuvre dramatique et qu’en conséquence, il fallait reproduire la parole par le moyen du chant, il me vint à l’idée que les anciens, qui chantaient sur la scène des tragédies entières, devaient se servir à cet effet d’une mélodie plus accentuée que celle contenue dans le parler ordinaire, et qui cependant n’était pas du chant proprement dit. Je considérai que cette émission vocale assignée au chant par les anciens et appelée par eux soutenue (diastemica), pouvait prendre une allure assez vive, de manière à tenir le milieu entre les mouvemens lents et mesurés de la mélodie et la rapidité du débit. Je constatai aussi que, dans notre langage, certaines syllabes sont accentuées de telle sorte qu’elles peuvent servir de base à un intervalle mélodique ; d’autres n’ont pas une intonation déterminée et ne font pour ainsi dire qu’opérer la transition d’un accent à un autre. Enfin, ayant observé les accens que nous employons à notre insu dans certaines affections très vives, telles que la joie, la douleur, etc., je tâchai de les utiliser[2]. »

  1. Voyez pour tout cela : Ambros, Histoire de la musique, t. IV.
  2. Péri, préface de l’Euridice ; traduction Gevaert.